Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/183

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pu en être étonnés. En la reconduisant depuis à l'instant de nous séparer, je lui serrais d'habitude la main et lui disais : " Vous n'avez pas oublié, j'espère, ce que nous sommes maintenant ”, ou quelque autre mot pareil lancé dans l'intervalle de temps où sa porte se refermait. Je lui aurais fait, si j'avais écouté mon caprice, plus de visites que je n'eusse pu en motiver ; je ne perdais du moins aucune occasion de lui être agréable. Mais ce n'était rien d'impérieux à quoi je cédasse véritablement ; je ne faisais qu'essayer du singulier attrait qui se glisse en ces complications naissantes. Après quelque adieu tendre qui m'était échappé de la sorte, et qu'un oui suave avait accueilli, souvent j'éprouvais au retour, un flatteur mouvement d'orgueil de donner ainsi mon cœur à l'une, mon sourire et un mot à l'autre, de les satisfaire toutes les deux, et, moi, de n'être pas rempli. Et puis ce contentement futile se mêlait vite de remords, d'inquiets scrupules suscités à l'idée de madame de Couaën, d'excuses secrètes et de petits accommodements de conscience que j'avais peine à me procurer. Je serais presque retourné vers madame R. en ces seconds moments pour lui demander à elle-même : “ N'est-ce pas qu'il n'y a rien de mal ni aucune duplicité à ce que je fais ? " Je n'avais toujours pas d'information de Georges, quoique j'eusse tenté à diverses reprises de le rejoindre, et le marquis n'en paraissait guère avoir plus que moi. Sa conjecture et la mienne étaient que les deux ou trois cents hommes, nécessaires au groupe, ne se réuniraient pas et qu'en traînant ainsi, l'affaire perdait toute bonne chance.

Nos craintes pour Georges et les siens étaient vives ; je dérobais au marquis une moitié de mon angoisse. Il eût été urgent dans l'intérêt de sa sécurité, à lui, que sa translation à Blois ou ailleurs se décidât au plus tôt et avant que la découverte d'une conspiration