Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/185

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et il faut qu'elle ne soit pas trop brumeuse ; mais nous nous souvenons dans notre âme d'autrefois, et il faut qu'aux endroits des souvenirs elle puisse nous luire au loin, d'un flot d'argent, comme une rivière dans la prairie.

Que je vous parle une fois ici du souvenir, selon moi, tel que je le sens, et j'ai beaucoup senti à ce sujet ! Si le souvenir, pour la plupart des âmes, dans des situations analogues à la mienne, est une tentation rude, pour moi, mon ami, il est plutôt une persuasion, un rappel au bien une sollicitation presque toujours salutaire dans sa vivacité.

Est-ce là une excuse, par hasard que je chercherais à mes yeux, pour ces milliers de fleurs et d'épines où je me rengage ? je ne le crois pas en vérité, à mon Dieu ! D'autres ont besoin surtout de moins s'appesantir sur leur passé.

Dès qu'ils l'ont racheté par assez de larmes, ils doivent rompre et se détacher exactement ; l'espérance robuste les soulève et les pousse, ouvriers assidus de la prophétie : ils ont l'ardent exemple de Jérôme. Mais sans que ce soit, je le pense, une contradiction avec les espérances immortelles, et dans tout ce qui est de l'ordre humain, moi, j'ai toujours eu à cœur le souvenir plutôt que l'espérance, le sentiment et la plainte des choses évanouies plutôt que l'étreinte du futur. Le souvenir, en mes moments d'équilibre, a toujours été le fond reposant et le plus bleu de ma vie, ma porte familière de rentrée au Ciel. Je me suis en un mot, constamment senti plus pieux, quand je me suis beaucoup et le plus également souvenu. En tout temps même dans les années turbulentes et ascendantes, j'ai dû au souvenir une grande part de mes impressions profondes.

Dans les divers âges de la vie que j'ai parcourus, comme j'anticipais prématurément l'expérience d'idées et le désappointement ordinaire à l'âge qui succède,je vivais peu de la jouissance actuelle, et c'était du souvenir encore que