Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/187

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une veine chaque jour ; non pas seulement les scènes où vous êtes debout mêlés et qui font à jamais image en moi ; mais les moindres incidents épars, les cailloux les plus fortuits de ce long chemin, des seuils que je n'ai franchis qu'une fois, des visages de jeunes filles ou de vieillards que je n'ai qu'entrevus des êtres amis qui se croient oubliés ou qui m'ont toujours cru indifférent, d'autres dont je n'ai su l'existence et les histoires que par des amis perdus eux-mêmes dès longtemps, et ceux plus inconnus à l'âme desquels je paie souvent mon De profundis, parce que j'ai obstinément retenu leur nom pour l'avoir lu au hasard, sur quelque croix de bois chancelante, dans un cimetière où j'errais ; que sais-je ? plusieurs apparitions aussi, moins pures d'origine, mais cependant voilées d'une rassurante tristesse, tout me revient et me parle ; les temps et les lieux se rejoignent ; et il s'exhale de ce vaste champ qui frémit, de cette vallée de Josaphat en moi-même, un sentiment inexprimable et rien que religieux ! - Mais ce qui a pu trouver place dans les deux ou trois mois d'alors ne me revient pas plus nettement.

Ce n'est que vers la dernière moitié de janvier, qu'un soir, étant rentré assez tard et près de me mettre au lit, un coup de marteau, fortement donné à la porte extérieure d'en bas rompit, en quelque sorte, les lenteurs, et je recommence la série active. D'après la disposition du logis, qui ressemblait à ceux de province, n'ayant qu'un premier étage où j'étais et que je partageais seulement avec des voisins très retirés, je pensai bien que C'était à moi que s'adressait cette visite à heure indue. Je descendis ouvrir, et la chandelle éclaira la figure de Georges. Je l'accueillis avec autant de surprise que de vraie joie. Il arrivait, le soir même, d'un voyage qu'il avait fait à la côte pour recevoir Pichegru et d'autres nouveaux débarqués d'importance.

Après avoir laissé