Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/190

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

des esprits entre eux ! le marquis semblait chimérique et transcendant à Georges, tandis qu'il eût paru à bon droit positif, terrestre et trop soucieux de l'action aux yeux du théosophe et du poète. A la fin, quand j'eus bien épuisé mon analyse et mes comparaisons sur ce chapitre du marquis, que je l'eus montré jeune, en ses nombreux voyages, livrant ses pensées au vent des mers et ensemençant la plaine aride, quand je fus à bout de le suivre dans son attente desséchante sur sa bruyère, Georges qui, depuis quelques moments avait cessé d'écouter, m'interrompit : “ Allons, s'écria-t-il, je crois vous entendre, vous voulez dire un M. Pitt qui n'aurait jamais eu d'emploi. ” Et au sujet de madame de Couaën comme il m'échappait, à travers mes développements sur le marquis, de la peindre avec complaisance et de m'étendre autour d'elle plus qu'il n'était besoin : “ Eh bien ! oui, me dit-il brusquement, vous en êtes un peu amoureux, passons !” L'accent dont il prononça ce mot tenait des habitudes brèves du chef militaire et de la sévérité puritaine du croyant. J'en fus froissé dans ma délicatesse ; j'avais senti la touche dure d'une main de fer. Ce que je racontai à Georges des vagues appréhensions de M. D... ne l'épouvanta nullement : l'exécution, qui touchait à son terme, devancerait toute découverte ; le groupe, qui, grâce à l'inertie du grand nombre, ne se montait qu'à une cinquantaine d'hommes (moi compris me dit-il), était à la rigueur suffisant ; Pichegru, d'ici à trois jours s'aboucherait avec Moreau, et il fallait espérer qu'étant tous deux gens de guerre, ils parleraient peu et nous laisseraient vite agir.

La nuit s'avançait, et je souhaitai bon sommeil à Georges. Il me fit voir que, selon sa coutume, il mettait ses pistolets fidèles sous son chevet. Je remarquai qu'il s'agenouilla pour prier, durant quelques instants.

Le