Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/224

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de leurs pieds ou au soutien, au soulèvement continuel de la lisière ; tant ce double mouvement chez eux est en harmonie et ne fait qu'un les lisières ne les quittant plus, s'incorporant à eux et s'attachant désormais à leur épaule comme deux ailes immuables. Tâchons mon ami, tâchons d'être ces heureux enfants, qui sont toujours prêts à marcher seuls et font en effet tout le chemin à pied, mais le font sans cesse sous l'oeil et par le maintien de la tendresse suprême ; qui ne sont plus des nourrissons gisants et vagissants, qui ne deviendront jamais des hommes superbes ; que la mort trouvera encore en lisières et s'essayant ; toujours en avant et toujours dociles ; qui marchent et qui sont portés ; qui ont le labeur jusqu'au bout, et qui à chaque pas rendent grâces !

Certes vous n'êtes en aucun moment plus éloigné du modèle que je ne l'étais alors. Après ces heures de rechute, j'avais hâte d'ordinaire de retourner chez madame R. ; le soir même ou du moins le lendemain, j'y allais presque toujours. j'y étais poussé, non par aucun de ces désirs réels et matériels si aveuglément assouvis, mais par un besoin de distraction et d'excitation artificielle, pour m'étourdir, pour recouvrir et réparer, en quelque sorte, l'infraction brutale à l'aide d'une autre espèce d'infraction moins grossière, quoique plus perfide, et qui se passait dans l'esprit plutôt que dans les sens. Une heure ou deux, assaisonnées de propos galants et d'amabilités mensongères, étaient une suffisante ivresse ; il me semblait qu'ainsi transporté dans une sphère plus délicate, le dérèglement de mon cœur s'était ennobli ; que le poison, arrivant sous forme invisible en parfums subtils, devenait une nourriture assez digne de l'âme, et que j'avais moins à rougir de moi.

Vue trompeuse et sophisme ! Car, si quelquefois après huit jours de retraite et de pureté observée, j'allais visiter madame R., si, la trouvant