Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/232

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tant d'alarmes. Le marquis, qu'on avait été avertir, entra quelques instants après et je lui précisai les événements des derniers mois surtout l'assassinat du duc d'Enghien avec les détails qui ne lui étaient point parvenus. Ainsi se passèrent cette journée et les suivantes, madame de Couaën ne me faisant aucune mention des lettres reçues pas plus de la dernière que des autres et moi, froissé, et m'interdisant de la rappeler à ce qui m'eût d'abord été si cher. Le mal de son enfant l'occupait, et, quand elle fut un peu rassurée le second jour, ses questions fixes si nous nous trouvions seuls portaient uniquement sur les dangers que le marquis et nous tous nous courions par suite de cette conspiration découverte et des rigueurs menaçantes. Au lieu des tristesses sans cause, ou dont on se croit la cause prochaine, au lieu des flottantes rêveries où l'on dessine ses visions comme dans les nuages, elle m'offrait une douleur, une inquiétude bien réelle et positive ; et elle l'étalait naïvement. Mais l'amour humain qui se dit dévoué, est si injuste et à son tour si préoccupé de lui-même, que je lui en voulais à elle, de sa préoccupation et de son effroi.

Qu'avais-je à lui reprocher pourtant, à ce cœur de femme et de mère ? Les lettres que j'avais trouvé hardi de lui écrire, elle ne s'en était pas étonnée et ne les avait pas jugées étranges. Elle avait accepté de moi sans défiance ce qui n'était pas exempt de quelque ruse. Elle s'en était nourrie comme d'un aliment délicat, mais simple, ordinaire à une semblable amitié, et voilà pourquoi elle n'en parlait pas. Elle ignora toujours ces manèges d'amour-propre et d'art plutôt que de tendresse, ces attentions que l'esprit seul rappelle, ces susceptibilités qui s'effraient et reprochent agréablement pour mieux exciter. Elle croyait, elle acceptait tout de l'ami, et ne se répandait pas en petits soins gracieux, le jugeant plein de foi lui-même. Quand elle