Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/235

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que je m'étais senti rebuté tout à l'heure de la sensibilité trop fixe et trop instinctive de madame de Couaën. Entre la haine cuisante et les vautours de l'un, les oublis fréquents et les lentes consomptions maternelles de l'autre, qu'avais-je à faire ? quel don inutile de mon être, et à quoi leur serais-je bon avec mes délicatesses comprimées, mes susceptibilités jalouses, et ces ressources variables d'intelligence et de cœur qui ne sauraient en tout point qu'orner et adoucir ? Etant rentré à la ville dans ces pensées, j'allai, dès le soir, sans prévenir personne, retenir ma place à la voiture pour le lundi de Pâques.

Ce ne fut que le jour de Pâques même, qu'après avoir annoncé à déjeuner mon départ, j'entendis madame de Couaën m'adresser en face le mot jusque-là contenu :

« Ah ! çà, dites, quand nous venez-vous décidément ? ” Elle semblait s'être fait un peu violence pour lâcher cette parole, et la brusquerie de ton dont elle l'avait prononcée cachait mal l'intérêt qu'elle y pouvait mettre, et n'était pas d'accord avec la rougeur soudaine qui couvrit son front en ce même moment. Mais mon impression était trop prise déjà pour que ce mot tardif me la fit changer. Je lui répondis, et au marquis, d'un air d'empressement, que je ne manquerais pas d'accourir, aussitôt après le procès fatal et ces débats auxquels je voulais pour nous tous, assister.

Et je quittai Blois le lendemain avec une joie, un soulagement, une colère intérieure, qui se combattaient, se mêlaient en moi, et faisaient voler dans mon ciel, comme à un cliquetis excitant, des milliers d'abeilles désireuses :

“Aimons, aimons, répétais-je ; la saison récréante approche, les germes poussent de toutes parts, et mon essor de jeunesse n'est pas fini. Aimons d'amour, mais aimons qui nous le puisse rendre, qui s'en aperçoive et en souffre et en meure, et préfère à toutes choses l'abîme avec nous ! Les pures amitiés durables avec les jeunes femmes