Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/245

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comme à la fleur étiolée qui croit reconnaître une aurore dans chaque lumière tardive. Mais ses longs matins restaient assiégés des habituelles et trop chétives douleurs qui corrompaient pour elle plus d'une brise heureuse et plus d'une vraie jouissance. J'attribuais d'abord au seul manque d'amour ce voile de vapeur qui, à certains jours, ne se levait pas ; bientôt j'en discernai mieux tous les points serrés et la trame moins simple.

Les débats du procès de Georges allaient s'ouvrir. Je m'étais bien promis, et à nos amis de Blois, d'y assister ; C'était même le prétexte allégué pour mon séjour. Je ne saurais vous dire par quel frivole enchaînement je ne le fis pas. Je manquai la première séance plutôt que de retarder ma visite à Auteuil et une sortie avec madame R. Ainsi de la seconde fois et des suivantes, jusqu'à ce qu'enfin il y eut en moi une sorte de parti pris par inertie et par honte. Je me le reprochais comme une lâcheté de cœur et une ingratitude ; il me semblait que je faussais un rendez-vous d'honneur. Il fallut pour rompre cet inexplicable éloignement, que madame R. elle même désirât assister à une séance et me requît d'autorité pour l'y conduire. Nous tombâmes précisément le jour des plaidoyers. Quoiqu'elle apportât tout l'intérêt de compassion que les femmes mettent d'ordinaire à ces sortes de drames, ce n'était pas dans cet esprit de curiosité un peu vaine et dans cet accompagnement mondain, que je m'étais juré de venir recueillir les derniers actes de mon ami, de mon général, comme je l'avais nommé. Les discours des avocats furent sans grandeur et au-dessous du rôle ; celui du défenseur de Georges surtout me sembla petit de subterfuges. Georges le subissait évidement avec une résignation chrétienne qui comprimait l'ironie. Mais le spectacle de cette triple rangée d'accusés était solennel et relevait tout ; ma pensée y errait ; Georges en tête du