Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/273

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nétration de certaines vues, au sortir d'assertions toutes passionnées et d'elles-mêmes croulantes. C'est une épreuve que j'ai d'abord faite sur M. de Couaën, et que j'ai depuis eu l'occasion de vérifier souvent, mon ami, combien chez les hommes forts de hautes parties d'intelligence et de génie sont compatibles avec les déviations et les défectuosités les plus abruptes. On croit les tenir, et ils échappent ; on les a étudiés durant des années, on a déterminé la formule de leur caractère et de leur nature, comme pour une courbe difficile ; un aspect imprévu vous déjoue. " Je le vante, je l'abaisse, a dit Pascal, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible. ” Ce que l'illustre penseur a dit de l'homme abstrait, de l'homme en général, n'est pas moins vrai de chaque individu marquant. Plus l'individu a de facultés et de ressorts intérieurs, quand la religion n'y tient pas la main, plus le faux et le juste se mêlent en lui, coexistent bizarrement et s'offrent à la fois l'un dans l'autre. La corruption, la contradiction de la nature spirituelle déchue est plus visible en ces grands exemples, tout ainsi que les bouleversements de la nature physique se voient mieux dans les pays de volcans et de montagnes.

Quel chaos ! que d'énigmes ! quelles mers peu navigables que ces âmes des grands hommes ! On heurtait sur un rocher absurde, et voilà que tout à côté on retrouve la profondeur d'un océan. On en désespérait, et soudain forcément on les admire. Leurs plus grandes parties gisent près de défauts qui sembleraient mortels. A tout moment, si on les serre de près, il faut revirer d'opinion sur leur