Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/307

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du désordre où plusieurs hommes considérables l'avaient entraînée ; l'abbé Carron la mit à l'abri de toutes poursuites dans un couvent. Peu de jours après, on vint le chercher un soir pour porter le viatique à un mourant ; mais il fallait se laisser conduire sans s'inquiéter du lieu ni du nom. Le prêtre, muni de son Dieu, obéit.

Arrivé à une maison de grande apparence, on l'introduisit sans lui parler, à travers une série d'appartements, jusqu'à une chambre où se trouvait un lit aux rideaux fermés, qu'on lui désigna ; et puis l'on sortit le laissant seul. Alors seulement il s'approcha du lit, et, entrouvrant les rideaux, découvrit un corps étendu, sans vie, avec une arme à côté.

Il crut qu'on l'avait appelé trop tard et, sans s'efforcer de pénétrer le mystère, il attendit en récitant les prières des morts, qu'on vînt le reprendre et le reconduire. A la fin plusieurs personnes entrèrent, et il leur dit ce qui en était.

Mais, à cette vue, le bouleversement de ces hommes fut extrême ; ils tombèrent éperdus à ses genoux, lui confessant que c'était à sa vie qu'ils en avaient voulu ; qu'ils étaient les séducteurs de la jeune fille soustraite par lui à leurs plaisirs, et que le mort, l'instant d'auparavant en pleine vie, avait eu dessein de le frapper d'un coup quand il se serait approché. Sous l'effroi de la divine sentence, ils se jetèrent à la trappe.

Un autre jour, étant au confessionnal, occupé d'un pénitent dont il espérait peu, l'abbé Carron, après son exhortation faite, poussa assez brusquement la planche de la grille, dans l'idée qu'il n'y avait rien à faire de cette âme pénible et rebelle. Mais, en ouvrant la planchette de la grille opposée, il entendit une voix qui lui adressait ces mots : “ Je ne viens pas pour me confesser, mais pour vous dire que, quelles que soient la sécheresse et la difficulté d'une âme, il n'est pas permis d'en désespérer, et qu'elle a droit de retour à Dieu. ”