Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/309

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Par une singulière coïncidence que je ne puis omettre ici, le saint abbé Carron dont je vous parle, et qui, tout absent qu'il était, devint un de mes maîtres spirituels, je ne l'ai vu qu'une fois dans ma vie, mais je l'ai vu en ce cul-de-sac même des Feuillantines, près de la maison où nous nous entretenions de ses œuvres. C'était en 1815, je crois, aussitôt après les Cent-Jours ; il arrivait d'Angleterre. Un prêtre de ses amis, peu connu alors, depuis bien illustre, l'abbé de La Mennais, était logé avec lui. Ils ne se quittèrent presque plus jusqu'à la mort du vieillard. Ainsi l'aumône et la doctrine s'étaient rencontrées ; l'éloquence tenait embrassée la miséricorde.

Il y a des hommes que Dieu a marqués au front, au sourire, aux paupières, d'un signe et comme d'une huile agréable ; qu'il a investis du don d'être aimés ! Quelque chose à leur insu émane d'eux, qui embaume et qui attire.

Ils se présentent, et à l'instant un charme alentour est formé. Les savants sourcilleux se dérident à leur nom et leur accordent de longues heures de causerie au fond de leur cabinet avare. Ceux qui sont misanthropes font exception en leur faveur, et ne disent qu'à eux leurs griefs amers, leur haine des hommes. Les filles désordonnées les aiment et s'attachent à leur manteau pour ne les avoir vus qu'une fois ; elles les supplient à mains jointes de revenir ; c'est un attrait qui n'est déjà plus celui du mal ; elles semblent leur crier : Sauvez-moi !

— Les femmes honnêtes envient leur commerce ; les mondaines et les volages sont pour eux tout indulgence et touchées d'une sorte de respect. Ils entrent dans les maisons nouvelles, les enfants après quelques minutes courent volontiers entre leurs genoux. Les confidences des malheureux les cherchent. De nobles mains et des amitiés qui honorent leur arrivent de toutes parts, et des offres de jeunes cœurs à guider et des demandes de bon conseil. Oh ! malheur au serviteur chargé