Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sans m'étonner, au terme magnifique de mon désir. Il me semblait que je ne serais jamais plus expiant, plus contrit et plus acceptable aux pieds de Dieu, que lorsqu'ayant monté, jusqu'à la dernière, toutes les marches de l'autel, et tenant aux mains l'hostie sainte, j'ajouterais un nom permis dans la commémoration des âmes.

Au plus élevé de ces pieux moments, il me survenait quelquefois des troubles d'une autre espèce, comme pour me montrer toute l'inconsistance et la versatilité d'un cœur qui ne pense avoir qu'un seul mal et qui croit ce mal presque guéri. J'appris un jour par une personne que je rencontrai, et à travers certains compliments assez embrouillés dont elle me gratifia, qu'on avait daigné s'occuper de mon absence dans le monde que j'avais quitté, et qu'il s'était fait des doléances extrêmes sur la perte de tant d'agréments et sur cette infirmité dévote où j'étais tombé, disait-on ; mais la personne qui me parlait n'avait eu garde de croire à un tel motif de retraite, ajoutait-elle d'un air fin, me sachant un jeune homme de trop d'esprit. Il n'y avait rien là-dedans que je n'eusse pu prévoir, et il m'était clair, d'après la brusquerie de mon éclipse, qu'on avait dû en gloser un peu çà et là. Mais ce que j'avais aisément conclu m'étant confirmé d'une façon plus précise par le propos de cette personne, j'en devins troublé, aigri, révolté pour tout un jour. Susceptibilité capricieuse du cœur ! On se dit bien avec Fénelon : Oublions l'oubli des hommes ! - Oui, leur oubli, on le pardonne encore, on l'envie même ; les sages le cherchent, les poètes le chantent. Mais, si amoureux de l'oubli qu'on soit, comme on supporte malaisément un jugement léger du monde, l'écho lointain d'une seule raillerie  !