Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/389

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sa jeunesse une telle calamité déchirante et tendre, de s'y tenir, de la garder secrète, unique en soi, de la purifier avec simplicité dans le silence, de s'y réfugier aux intervalles de la vie active à laquelle le reste des ans est destiné, de l'avoir toujours dans le fond comme un sanctuaire et comme un tombeau auquel, en chaque route, nous ramènent de prompts sentiers à nous seuls connus, d'en revenir sans cesse avec une émotion indéfinissable, avec un accent singulier et cher aux hommes, qu'on leur apporte sans qu'ils sachent d'où, et qui les dispose en toute occasion à se laisser toucher par nos paroles et à croire à notre croyance ?

J'ai tâché, du moins, que ce fût pour moi ainsi ; que l'astre mystérieux et lointain jetât sur tous mes jours un reflet fidèle, qui n'est autre, à mes yeux, qu'un reflet adouci de ma Croix. Durant les vingt années, bientôt, qui ont suivi la dernière crise, ma vie a été assez diversement occupée à l'œuvre divine, assez errante, et plutôt fixée vers le but qu'assujettie à aucun lieu. Au sortir de semblables émotions, jeune encore, ayant tant à veiller sur moi-même, sur les anciennes et les récentes plaies, j'ai dû redouter tout fardeau trop lourd, toute charge régulière d'âmes. Rome, à plusieurs reprises, m'a tenu longtemps et m'a beaucoup affermi. Cette cité de méditation, de continuité, de souvenir éternel, m'allait avant tout ; j'avais besoin de ce cloître immense, de cette célébration lente et permanente, et du calme des saints tombeaux. C'est à Rome qu'on est le mieux, après tout naufrage, pour apaiser les derniers flots de son cœur ; c'est à Rome aussi qu'on est le mieux pour juger de là, comme du rocher le plus désert, le plus stable, l'écume et le tourbillonnement du monde. Je suis revenu souvent dans notre France, mais sans y désirer une résidence trop longue et des fonctions qui m'attachassent, me sentant plus maître de moi, plus capable de bien ailleurs. Diverses