Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/51

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disparate avec elle, l'âge de ses deux enfants, lequel était le plus beau et si la fille ressemblait à sa mère ; que sais-je encore ?

Avait-elle dans l'accent quelque chose d'étranger, parlait-elle aussi bien que nous la langue, aimait-elle à se répandre sur les souvenirs de sa famille et de sa première patrie ?...

Ces mille questions se succédaient aux lèvres de mademoiselle de Liniers sans curiosité vaine, sans le moindre éveil de coquetterie rivale, avec un intérêt bienveillant et vrai, comme tout ce qui sortait d'une âme si décente. Pour moi, je ne pouvais me dispenser de complaire à tant de naturels désirs, et, une fois sur cette pente, je m'oubliais aux redites et aux développements. Puisque elle-même écartait de ses mains le voile dont j'imaginais de recouvrir en moi ce coin gracieux, il me semblait qu'il m'était bien permis en ces moments d'y lancer quelque coup d'oeil qui fit trêve à mes contraintes et de profiter d'une ouverture dont je n'étais pas l'auteur, pour m'informer à mon tour de ce que ma mémoire contenait déjà. Ce n'est pas moi du moins qui ai ouvert, murmurait tout bas la conscience ; ce n'est pas moi qui ai commencé, me disais-je ; et j'allais je pénétrais cependant, et les discours que j'en faisais ne se terminaient pas. Toute la Gastine n'était plus qu'un écho des secrètes merveilles de Couaën. Si les sentiments dont j'eus à m'effrayer par la suite s'essayèrent dès lors à former chez moi quelques points distants et obscurs, ce dut être à la faveur de semblables entretiens où, pleine de son sujet, sollicitée à le ressaisir, notre parole en détermine en nous les premiers contours.

L'hiver, qui me parut long, s'écoula : avec le printemps mes retours au manoir se multiplièrent et n'eurent