Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/82

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écrite, je la plaçai dans ma chambre à un endroit apparent, et, comme minuit approchait, je regagnai la falaise. La marée qui devait nous emmener était presque haute ; nos hommes pourtant, qui amassaient des forces par un peu de sommeil, ne paraissaient pas ; nous en avions bien encore pour une heure au moins. Je m'assis donc en attendant, précisément à cette guérite, non loin de la chapelle, là où j'étais déjà venu le jour de la prière. Les mêmes pensées, grossies d'une infinité d'autres, s'élevaient dans mon sein. L'onde, et l'ombre, et mon âme, tout redoublait de profondeur et d'infini en moi comme autour de moi. C'était une nuit froide et brune, sans nuages où les étoiles éclairaient peu, où les vagues bondissantes ressemblaient à un noir troupeau, où perçait au ciel, comme un signe magique, le plus mince et le plus pâle des croissants. A cette heure d'un adieu solennel et presque tendre, le Génie de ces lieux se dévoilait à mon regard avec plus d'autorité que jamais, et, sans s'abaisser en rien ni s'amollir, il se personnifiait insensiblement dans la divinité de mon cœur. Les temps reculés les prêtresses merveilleuses le lien perpétuel et sacré de l'Armorique et de l'Irlande, ces saints confesseurs, dit-on, qui faisaient le voyage en mouillant à peine leur sandale sur la crête aplanie des flots, je sentais tout cela comme une chose présente, familière, comme un accident de mon amour. D'innombrables cercles nébuleux, dans l'étendue de l'Océan visible et de l'Océan des âges vibraient autour d'un seul point de ma pensée et m'environnaient d'un charme puissant. Au plus fort de cette redoutable harmonie où je me noyais pour me retrouver sans cesse, il me sembla que des airs et des eaux s'élevait une voix qui criait mon nom : la voix s'approchait et devenait par moments distincte ; il y avait des intervalles de grand silence. Mais un dernier cri se fit entendre, un cri, cette fois, qui me nommait avec