Page:Sallust - Traduction de Jean Baudoin, 1616.djvu/222

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de te voir ſain & entier dans ceſt Ordre ? Ceſſe donc de meſdire effrontément des gens de bien : Ceſſe de nous infecter de ceſte peſte de calomnie : Ceſſe d’eſtimer vn chaſcun par tes mœurs ; qui ſont telles que les practiquant, tant s’en faut que tu puiſſes faire vn amy, qu’au contraire il ſemble que tu ne veuïlles auoir que des ennemis.

Ie finiray ma harangue (Meſſieurs nos Peres :) Car i’ay veu ſouuent que les hommes qui diſoient franchement les vices d’autruy, offençoient plus les courages des eſcoutans, qu’ils ne faiſoient ceux qui les auoient commis. D’ailleurs il me faut auoir eſgard, non à ce que Saluſte merite d’ouyr, mais bien aux choſes que ie puis dire honneſtement, & ſans offencer perſonne.


LA PREMIERE HARANGVE DE
C. Salvste a Ivles Cesar ; Povr
l’eſtabliſſement de la Republique Romaine.


LE Peuple Romain auoit jadis tout pouuoir de diſpoſer des Royaumes, des Gouuernements, & de la Fortune, où il ef- leuoit ceux qu’il luy plaifoit : Tellement que les dignitez où la conuoitife pouffe l’ambition des mortels, ne demeuroient en- tierement à perfonne ; parce que le plus fouuent on les donnoit comme par plaiſir à des gens qui en eftoient indignes. Mais l’ex- perience a monftré qu’Apius ne ment point quand il dia en fes vers,

Qu’un chafcun eft ouurier de fa bonne fortune.

Cefte verité fe fait paroiftre en vous principalement, ô Cc- far, qui auez furpaffé les autres auec tant d’aduantage, que les homines fe lafferoient pluftoft de louër vos faicts, que vous de faire des actions dignes de louange.

Aurefte vne induftrie efgallement grande eft requife à gou- uerner les ouurages de la Fortune, & les chofes acquiſes par la vertu : Autrement, il eft à craindre que la nonchalance ne les rende difformès, & qu’elles ne fe laiffent cheoir toutes affoi- blies. Il eſt hors de doute que nul ne cede volontairement à vn autre le tiltre de Souuerain. Car vn plus puiffant ne laiffe pas dement d’eftre craint quelque debonnaire * qu’il ſoit, parce qu’il luy peut arriuer d’eftre mefchant. Telle chofe aduient, à caufe que