Page:Sallust - Traduction de Jean Baudoin, 1616.djvu/234

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chofes dans ſon ame. Mais quand il void que la gloire du monde gaigne le deuant au vray honneur, & que les biens de fortune ſont tous les iours preferez à la vertu, ſon eſprit ſe forligne incontinent du vray bien, pour ſe mettre au ſeruice de la volupté. Auſſi ie ſuis d’opinion que toute l’induſtrie de l’home n’a point d’autre aliment que l’honneur, & que l’oſtant vne fois, toutes les douceurs de la vertu ſe tournent en autant d’amertumes. Bref où les biens de Fortune tiennent le deſſus des honneurs, là ceux de l’eſprit, à ſçauoir la foy, la preud’hommie, la honte, & la pudicité, ſont de peu de valeur. L’on n’arriue à la vertu que par vn ſeul chemin, encore eſt-il bien rabotteux. Mais toutes voyes ſont ouuertes à celuy qui veut auoir de l’argent ; Il n’eſt point de moyen, ſoit bon ou mauuais, qu’il ne treuue propre pour en acquerir.

Il faut donc premierement que vous oſtiez la grăde puiſſance de ce metal. Nul ne priſera plus ou moins ſa vie, ſon honneur, & ſes biens s’il voit que le Preteur ou le Conſul ſoit eſleué à ſa dignité par ſon merite, & non par ſes grands moyens. Le iugement du peuple en l’eſlection d’vn Magiſtrat eft bien-toſt doné. C’eſt vne action Royale quand les Iuges ne font approuuez que de peu de perſonnes, & vn deshonneur de les eflire pour de l’argent. C’eſt pourquoy, ie treuue fort bon que tous ceux du premier Ordre ayent des Offices de Iuges, pourueu qu’ils affiftent aux Iugements en plus grand nombre qu’ils n’ont accouftumé. Les Rhodiens, & les habitans des autres villes ne fe repentirent ia- mais de leurs Iugements, où le riche & le paure, felon que le fort efcher à chafcun, difputent indifferemment des grandes af- faires & des petites. Quant à la creation des Magiftrats, ce n’eſt pas fans raifon que l’appreuue la loy que publia C. Gracchus eftant Tribun : Cefte loy veut que des cinq Ordres confus celuy des Cente- niers ſoit tiré au fort, affin que par ce moyen fe treuuans efgaux en argent & en dignité, ils tafchent feulement de fe deuancer I’vn l’autre en vertu. Ie n’ordonne point de grands remedes contre les richeffes, parce que toutes chofes font loüees ou con- uoitees, felon que l’vfage en eft grand ou petit. Les recompen- fes mettent les méchans en befongne. Si tu ne leur donnes rien, n’aye peur qu’ils veuillent practiquer leur malice. Aurefte l’auarice eft vne befte farouche, cruelle & infuppor- Digitized by Google 1