Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/17

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VIE
DE SALLUSTE,
PAR LE PRÉSIDENT DE BROSSES.
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Caius Sallustius Crispus naquit à Amiterne, ville considérable du pays des Sabins, dont on voit aujourd’hui quelques restes près de San Vittorino, dans l’Abruzze, l’an de Rome 668, sous le septième consulat de Marins, et le second de Cornelius Cinna. Ce fut au milieu du temps le plus affreux de la république, où tout ce qu’on peut imaginer d’horreurs et de barbaries était devenu familier à ce peuple romain qu’un préjugé presque général élève ordinairement si haut. L’habitude qu’on a contractée de juger favorablement cette nation, sur l’excellente constitution de son gouvernement par rapport aux nations étrangères, et sur les grands exemples de vertu fournis par les premiers siècles de la république, empêche la plupart des gens de faire attention que, dans tous les temps, la discorde a régné dans le sein de Rome ; que depuis que la république eut acquis une certaine étendue, presque tous ces personnages qu’on nous vante, ne sont pas moins fameux par des vices énormes que par de brillantes vertus, rassemblés très communément dans les mêmes sujets ; et que leur basse cupidité avilissait au dedans la majesté de l’état qu’ils relevaient eux-mêmes au dehors par les talents qui éblouissent le vulgaire. Salluste se ressentit autant que personne de ce mélange de vices et de vertus qui fit le caractère particulier de son siècle. Il était né dans un climat dur et sauvage, son esprit en retint toute l’austérité ; il fut élevé dans une capitale où le luxe triomphait, son cœur en prit toute la mollesse. Les exemples de corruption dont sa jeunesse fut entourée, la séduisirent sans l’aveugler. Il eut toujours des lumières très justes sur le bien et sur le mal ; mais réservant toute sa sévérité pour ses discours, il mit une entière licence dans ses actions. Censeur éternel et impitoyable des vices d’autrui, il se permit à lui-même des choses très malhonnêtes, s’il en faut croire les gens qui nous ont laissé quelques détails sur sa vie. Mais il faut remarquer que ces leçons si aigres et si mal pratiquées de sa part, ayant, avec justice, révolté tout le monde, lui attirèrent une foule d’ennemis de qui nous tenons la plupart des mémoires qui nous restent sur son compte, satires passionnées, où l’animosité a fait aussi souvent régner l’exagération que la vérité. Telle est la déclaration du faux Cicéron sur lui : tel encore le fragment de Lénœus, et divers autres écrits dictés par l’esprit de parti qui divisait Rome alors, et qui ne permettait pas qu’il y eût d’honnêtes gens dans la faction contraire. Convenons néanmoins de bonne foi que plusieurs actions de Salluste autorisent sa mauvaise réputation, qu’il manqua souvent de probité, et toujours à connaissance de cause ; et que, par un malheur commun à grand nombre de gens à talents, il ne fut guère moins méprisable par son cœur qu’estimable par son esprit.

La maison Sallustia ne commence à paraître dans l’histoire qu’à la fin du septième siècle de Rome. On y trouve alors, outre l’historien dont j’écris la vie, deux autres Salluste, ses contemporains, et probablement ses parents ; l’un et l’autre amis de Cicéron et de Pompée. Cette famille a subsisté fort longtemps et a formé diverses branches, distinguées par les surnoms de Crispus, de Lucellus et de Secundus. Mais les mémoires qui nous res-