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VIE DE SALLUSTE.

peuple, l’autre sous celui des grands, déchiraient à l’envi la république par des cruautés dont on ne trouve pas d’exemples chez les peuples les plus féroces. Peu après Sylla, ayant enfin écrasé son rival, dominait plus despotiquement, sous le titre de dictateur, que Tarquin n’avait jamais fait avec le nom de roi. À sa mort, en 675, Salluste n’avait, à la vérité, que sept ou huit ans ; mais la supériorité que le dictateur avait fait prendre à la faction des nobles, par l’abaissement du tribunat, subsistait après lui, sans (pie les tentatives de Lépide, en Italie, ni les efforts de Sertorius en Espagne, eussent encore pu lui donner atteinte. On avait conservé toutes ses lois, aussi bien que la forme nouvelle qu’il avait donnée au gouvernement ; et cependant Salluste, que son origine plébéienne et son caractère aigre révoltaient toujours contre les grands, soit qu’ils eussent tort ou raison, se jeta dans le parti du peuple si ouvertement, et avec si peu de ménagement, qu’il joua le personnage de celui que, dans les factions, on lâche pour parler haut et pour ameuter la cabale. II portait ses vues dans l’avenir plus loin qu’un autre : la connaissance de l’histoire lui faisait prévoir quelle serait la fin de la querelle. Il savait que cet équilibre des deux puissances, qui, à vrai dire, n’a subsisté dans un étal de repos que pendant les neuf premières années de la république, n’avait cessé depuis d’être balancé dans une agitation dont le progrès s’était incessamment augmenté jusqu’à son temps ; et (pi’à chaque mouvement le sénat, toujours injuste en particulier, toujours faible en corps, avait laissé emporter quelque chose au peuple, toujours entreprenant et toujours insatiable. Il voyait les choses venues au point (pie le gouvernement allait totalement changer de forme, et n’avait pas de peine à deviner quelle était la faction dont le poids entraînerait l’autre.

Les circonstances continuèrent pendant quelque temps à lui eue contraires ; la puissance de Pompée, son ennemi, ayant succédé à celle de Sylla. Aussi Salluste réussit-il d’abord médiocrement de ce côté. Il nous en diniiic lui-même d’autres raisons, où, maigre l’apologie (pi’il tache de faire de sa conduite, ou voit qu’elle ne continuait que trop à lui nuire. " Pour moi, dit-il, quand j’entrai dans le monde, je cherchai comme les autres à m’élever aux di1) gniti s de l’état. J’y trouvai bien des écueils. L’impudence, les brigues, la corruption, avaient pris la place du mérite et de l’intégrili’. Mon cœur dédaignait ces pratiques odieuses ; mais la jeunesse est imprudente, et l’ambition ne peut se résoudre à lâcher prise. Je m’acipiis (piel(|iic n’piilation, on en conçut de la jalousie ; maigre le peu de rapport de mes nifrurs avec celles de mes concurrents, la calomnie me confondit avec eux. »

Le cœur de Salluste avait assez de passions pour les remplacer l’une par l’autre. Si le temps n’était pas assez favorable à son ambition, son âge était à l’amour, où son tempérament le portait avec excès. Ses tentatives en ce genre lui réussirent assez souvent, pour le rendre redoutable aux mères vigilantes et aux maris jaloux. Mais, ingénieux pour imaginer des moyens de voir ses maîtresses, autant que hardi à les mettre en pratique, il trouva le moyen de duper les mères et les époux. Sa teuK’rilé fut au-dessus de leurs précautions, et leur vigilance ne tint pas contre son adresse. Il en acquit à bon droit le titre d’homme à bonnes fortunes ; il est vrai qu’il lui en coûta, dit-on, quelquefois des complaisances du genre de celles dont j’ai parlé plus haut, et qui ont fait dire de lui, comme de César, qu’il avait été le mignon et l’adultère de toutes les ruelles. Une aventure assez désagréable interrompit néanmoins le cours de ses prospérités, et le dégoûta tout à fait du commerce des femmes de qualité. Il était éperdument amoureux de Fausta, fille du dictateur Sylla, et femme de Milon. La daine ne lui était pas cruelle, non plus qu’à ses autres amants, cinij des ipiels nous sont encore connus. On s’attachait à elle par vanité d’avoir eu une femme de si haut rang, et pour l’honneur, dit Horace, qui s’en moque, d’être à son tour gendre du dictateur. Soit hasard, soit que Salluste n’eût pas usé pour cette fois de son adresse ordinaire, il se laissa surprendre par Milon dans un moment fort essentiel et tout à fait critique pour l’honneur du mari. Milon, à cette vue, sut conserver assez de flegme pour penser qu’un incident de cette espèce ne devait pas être traité tragiquement, et qu’il dégoûterait mieux Salluste du métier de galant, par un châtiment ridicule que par une peine plus grave. Il le fit dépouiller par ses domestiques, et charger de coups d’étrivières ; après quoi il le renvoya chez lui, en retenant une somme d’argent qu’il avait apportée, sans doute à une autre occasion. S’il est permis de hasarder une conjecture, les parents de Fausta, et en particulier P. Sylla, son cousin germain, eurent grande part, de façon ou d’autre, à la disgrâce que Salluste essuya. Ce pourrait être par cette raison que celui-ci, dans son histoire de la conjuration de Catilina, l’a iiiqjrKpie d’une manière di’cisive dans cet infâme eonqilot, lui il es ! douteux que P. Sylla ait eu part. Ce n’est pas (pie dans ce temps Sylla n’ait été accusé de complicité, et même poursuivi en justice à ce sujet par Torquatus. Mais Salluste ne pouvait ignorer comment Ciceron, inexorable ennemi des conjurés, l'avait défendu et fait absoudre ; ce fait s’elait passé sous ses yeux, en (> !) !, dans un temp- ; voisin de celui où il écrivit son histoire. L’on se iieisuadera diflicilemenl que ce soil sans dessein (pi’il ail omis d’en faire mention, ou de donner du moins ù l’accusation dont il charge Sylla, les mêmes adoucissements (pi’il apporte en parlant de Crassus et de César, sur lesquels le bruit public avait de même répandu des soupçons, Quant à Mi