Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/660

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« La guerre », répondent à grands cris les Carthaginois. – « Eh bien ! recevez donc la guerre », reprend Fabius ; puis détachant le devant de sa loge, il la déploie, au milieu du sénat, qu’il saisit d’épouvante, comme s’il eût en effet porté la guerre dans son sein (19). L’issue de cette lutte répondit à ce commencement. En effet, comme si les dernières imprécations des Sagontins, au milieu de leur incendie et de leur vaste parricide, eussent réclamé de telles funérailles, on vengea leurs Mânes par la dévastation de l’Italie, la captivité de l’Afrique, la mort des généraux et des rois qui prirent part à cette guerre.

A peine donc s’est formée dans l’Espagne la pénible et déplorable tempête de la guerre Punique, à peine s’est allumée, aux flammes de Sagonte, la foudre dès longtemps destinée aux Romains, qu’emporté tout à coup par un mouvement impétueux, l’orage déchire les flancs des Alpes, et, du sommet de ces neiges à la fabuleuse élévation, il descend, comme du haut du ciel, sur l’Italie. Les premières explosions de ce tourbillon rapide se font entendre tout à coup entre le Pô[1] et le Tésin[2], avec un fracas épouvantable[3]. L’armée que commandait Scipion est mise alors en fuite ; blessé lui-même, il serait tombé entre les mains des ennemis, si son fils, encore vêtu de la prétexte, n’eût, en le couvrant de son corps, arraché son père à une mort certaine. C’est le Scipion qui croît pour la ruine de l’Afrique (20), et qui tirera son nom des malheurs de ce pays. Au Tésin succède la Trébie[4]. Là se déchaîna la seconde tourmente de la guerre Punique, sous le consul Sempronius. Ce fut alors que les Carthaginois, féconds en stratagèmes, et profitant d’une journée froide et neigeuse, se chauffèrent et se frottèrent d’huile avant le combat ; et chose incroyable ! des hommes venant du soleil du midi nous vainquirent par notre hiver même.

Au lac Trasimène tomba la troisième foudre d’Annibal, sous le commandement de Flaminius. Là, encore, un nouvel artifice de la ruse punique. Cachée par les brouillards du lac et par les joncs des marais, la cavalerie ennemie attaqua tout à coup par derrière nos soldats qui combattaient. Nous ne pouvons toutefois nous plaindre des dieux ; car le désastre qui menaçait un chef téméraire lui avait été présagé : un essaim d’abeilles s’était posé sur les drapeaux ; les aigles avaient refusé d’avancer ; et, l’action à peine engagée, on avait ressenti un grand tremblement de terre, à moins que les évolutions des chevaux et des hommes, et la violence du choc des armes, n’eussent produit cet ébranlement du sol.

La quatrième et presque la dernière blessure de l’empire lui fut portée à Cannes, bourg de l’Apulie, encore dans l’obscurité, mais qui dut à la grandeur de notre désastre, d’en sortir, et au carnage de quarante mille Romains, d’être devenu célèbre. Ici, tout conspire la perte de notre malheureuse armée, le général ennemi, la terre, le ciel, le temps, toute la nature enfin. Non content de nous avoir envoyé de faux transfuges qui bientôt, pendant l’action, massacrèrent nos soldats par derrière, Annibal, ce général toujours rusé, observant le champ de bataille, reconnut que c’était une vaste plaine brûlée par le soleil, couverte de poussière, et où soufflait périodiquement un vent d’orient. Il rangea son armée de manière que les

  1. Le plus grand fleuve de l’Italie : il sort du lint Viso, coupe la haute Italie dans toute sa longueur, et va se jeter au fond de la mer Adriatique.
  2. Il a sa source dans les Alpes Pennines, traverse le lac Majeur, et se jette dans le Pô.
  3. Près de la ville de Ticiuulm, depuis Palppa, et aujourd’hui Pavie.
  4. Petite rivière de la Gaule Cispalpine, qui se jette le Po.