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Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/672

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Jamais l’Espagne n’eut la pensée de se lever en masse contre nous, jamais de mesurer ses forces avec les nôtres, ni de nous disputer l’empire, ni de défendre ouvertement sa liberté. Autrement, protégée par la mer et les Pyrénées, cette vaste enceinte de remparts, elle eût été inaccessible par le seul avantage de sa situation. Mais elle fut assaillie par les Romains avant de se connaître elle-même, et, la seule de toutes nos provinces, elle ne sentit ses forces qu’après avoir été vaincue. On s’y battit, pendant près de deux cents ans, depuis les premiers Scipion jusqu’à César Auguste, non pas sans interruption ni sans relâche, mais selon que les circonstances l’exigeaient ; et même, dans l’origine, ce n’étaient pas les Espagnols, mais les Carthaginois que l’on combattait en Espagne. De là cette suite de guerres, dont les causes naissaient l’une de l’autre.

Publius et Cnaeus Scipion portèrent les premiers au-delà des monts Pyrénées les enseignes romaines. Ils défirent dans de grandes batailles Hannon et Asdrubal, le frère d’Annibal, et ce coup allait livrer l’Espagne à ces grands capitaines, si, vainqueurs sur terre et sur mer, ils n’eussent succombé au milieu même de leur victoire, victimes de la ruse punique. Ce fut donc comme dans une province nouvelle et encore intacte qu’entra Scipion, qui, vengeur de son père et de son oncle, reçut bientôt après le nom d’Africain. II prend aussitôt Carthagène, avec d’autres villes ; et, non content d’avoir chassé les Carthaginois, il fait de l’Espagne notre tributaire, et soumet à l’empire tous les pays en-deçà et au-delà de l’Ebre. C’est le premier des généraux romains dont les armes victorieuses soient parvenues jusqu’à Gadès et aux rivages de l’Océan.

Il est plus difficile de conserver une province que de la conquérir. Aussi envoya-t-on des généraux dans les différentes parties de l’Espagne, contre des nations farouches, restées libres jusqu’à cette époque, et d’autant plus impatientes du joug ; et ce ne fut pas sans de longs travaux et de sanglants combats qu’on leur apprit à souffrir la servitude. Quelques combats de Caton, cet illustre censeur, abattirent, avec les Celtibères, la force de l’Espagne. Gracchus, père des Gracches, châtia les mêmes peuples par la destruction de cent cinquante de leurs villes. Le grand Métellus, qui au surnom de Macédonique eût mérité d’unir celui de Celtibérique, ajouta à l’avantage mémorable d’avoir pris Contrébie la gloire plus grande encore d’épargner Nertobrige. Lucullus soumit les Turdules[1] et les Vaccéens[2] ; Scipion le jeune, vainqueur dans un combat singulier auquel il avait provoqué leur roi, remporta sur eux des dépouilles opimes. Décimas Brutus, poussant encore plus loin ses conquêtes, dompta les Celtes[3], les Lusitaniens[4] et tous les peuples de la Galice ; il passa le fleuve de l’Oubli[5], si redouté des soldats, parcourut en vainqueur le rivage de l’Océan, et ne ramena ses légions qu’après avoir vu le soleil se plonger dans la mer et ensevelir ses feux sous les eaux ; spectacle qu’il ne put contempler sans craindre d’avoir commis

  1. Peuples de la Lusitanie, habitant les rives du Tage.
  2. Ils occupaient une partie du royaume de Léon.
  3. Ils étaient établis à l’embouchure du Tage.
  4. La Lusitanie répond au Portugal et la partie occidentale du royaume de Léon et de l’Etranscalure portugaise.
  5. Il est appelé Limia par Pomponius Méla, et Léthé par Strabon.