Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/693

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on vit tout à coup paraître de toutes parts une telle multitude d’étrangers, que la ville semblait prise d’assaut par une armée ennemie. Le consul Philippe osa cependant proposer une loi contraire ; mais un huissier (28) du tribun le saisit à la gorge, et ne le lâcha qu’après lui avoir fait sortir le sang par la bouche et par les yeux. Grâce à ces violences, les lois furent proposées et confirmées. Mais les alliés réclamèrent sur-le-champ le prix de leurs secours. Tandis que, dans son impuissance à les satisfaire, Drusus gémissait de ses téméraires innovations, la mort vint à propos le tirer de cette position embarrassante. Les alliés en armes n’en demandèrent pas moins au peuple romain l’exécution des promesses de Drusus.

XIX. — Guerre sociale. — (An de R. 662-665.) — On peut nommer sociale la guerre des alliés, pour en pallier l’horreur ; si cependant nous voulons être sincères, ce fut une guerre civile. En effet, le peuple romain étant un mélange d’Etrusques, de Latins et de Sabins, et tenant par le sang à tous ces peuples, formait un seul corps de ces différents membres, un seul tout de ces diverses parties ; et la rébellion des alliés dans l’Italie n’était pas un crime moins grand que celle des citoyens dans Rome.

Ces peuples demandaient avec raison le droit de cité dans une ville qui devait ses accroissements à leurs forces ; ils voulaient qu’on réalisât l’espoir que Drusus leur avait donné dans ses vues de domination. Dès que ce tribun eut péri par un crime domestique, les feux mêmes du bûcher qui le consuma enflammèrent les alliés, qui, volant aux armes, se préparèrent à assiéger Rome. Quoi de plus triste que cette guerre ? Quoi de plus malheureux ? Tout le Latium, le Picentin, l’Etrurie entière, la Campanie, l’Italie enfin, se soulèvent contre une ville, leur mère et leur nourrice. On vit nos alliés les plus braves et les plus fidèles la menacer de toutes leurs forces, et se ranger chacun sous ses enseignes, guidés par ces prodiges qu’ont produits les villes municipales (29) ; les Marses, par Popédius ; les Latins, par Afranius ; les Umbriens, par un sénat et des consuls qu’ils avaient élus ; les Samnites et les Lucaniens, par Télésinus. Aussi, le peuple, arbitre des rois et des nations, ne pouvant se gouverner lui-même, on vit Rome, victorieuse de l’Asie et de l’Europe, avoir Corfinum pour rivale !

Le premier projet de cette guerre fut formé sur le mont Albain ; les alliés décidèrent d’assassiner, le jour des féries latines, au milieu des sacrifices et aux pieds des autels, les consuls Julius César et Marcius Philippus. Le secret de cet horrible complot une fois trahi, toute la fureur des conjurés éclata dans Asculum, où, pendant la célébration des jeux, ils massacrèrent les magistrats romains qui y assistaient. Ce fut là le serment par lequel ils s’engagèrent dans cette guerre impie. Aussitôt Popédius, le chef et l’auteur de la révolte, court dans toutes les parties de l’Italie ; et la trompette retentit de différents côtés, au milieu des peuples et des villes. Ni Annibal ni Pyrrhus ne firent tant de ravages. Ocriculum et Grumentum[1] et Fésule et Carséoli[2], Réate[3], et Nucéria[4], et Picentia, sont en même temps dévastées par le fer et par le

  1. Ville de Lucanie.
  2. Ville des Eques.
  3. Ville des Sabins.
  4. Ville de l’Ombrie.