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ton amour dans le cœur. C’est un instinct passionné qui lutte et qui souffre comme le tien lutte avec l’amour de la liberté. Quand on met le pied sur ton sol et que l’on te voit éteinte et comme morte sous le poids de l’étranger, on est tenté de te maudire et l’odeur de tes sépulcres vous navre et vous glace. Mais si tu fais un mouvement, si tes morts ressuscitent, si tes enfants accablés se relèvent, si tu jettes un cri d’appel et de détresse vers nous, à son tour, notre sang se ranime et bouillonne. Oui, c’est bien une voix du sang, et nous volons vers toi, entraînés par une puissance qui ne raisonne plus, et qui fait bien de ne pas raisonner.

Raisonner sur quoi ? Elle est tombée par sa faute, cette infortunée ? elle nous a méconnue souvent ? elle a été victime de mille erreurs ? elle a été égarée par la superstition, paralysée par le dégoût, vaincue par les délices de son climat, endormie par les pompes de son culte et l’orgueil de ses beaux arts ? — Soit, c’est possible ; mais la voilà qui souffre et qui crie. Entendez-vous ? on la brise, on la torture, cette reine déchue de l’ancien monde, cette déesse de l’intelligence, source immortelle du feu sacré des nations ! Courons, il faut la sauver. Quelle âme française peut se fermer quand cette grande Niobé se tord sur son rocher, et lève vers le ciel ses beaux bras prêts à retomber pour jamais sur ses flancs pétrifiés ! Marchons, et marchons vite ! Quel que soit le lendemain de la bataille et les secrètes pensées des divers champions qui s’unissent aujourd’hui pour la défendre, il ne s’agit pas de régler ses futures convenances, d’enchaîner les formes de son développement ; il s’agit de ne pas souffrir qu’on l’égorge ; il s’agit de la rendre à elle-même, et quiconque parle politique à cette heure, quiconque a un système, un projet, un parti pris, une arrière-pensée en dehors de la croisade, est un impie et un mauvais frère : n’est-ce pas, Garibaldi ?