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LUCREZIA FLORIANI.



Il était assis à sa porte… (Page 11.)

— Oh ! elle vit comme cachée, dit l’hôte, c’est sa fantaisie du moment. Cependant, on la connaît bien ici, car elle fait du bien ; elle est très-bonne, la signora !

— Eh vite, eh vite, une barque ! s’écria Salvator, sautant de joie. Ah ! l’agréable surprise ! Et moi qui n’avais pas l’heureux pressentiment de la retrouver ici !

Ce mot fit tressaillir Karol. — Les pressentiments, dit-il, agissent sur nous à notre insu, et nous poussent où ils veulent.

Mais le pétulant Albani ne l’écoutait pas. Il s’agitait, il criait, il faisait approcher une barque, il y jetait une valise, il recommandait la voiture et les paquets à son domestique, qui devait rester à l’auberge d’Iseo, et il entraînait le jeune prince sur le plancher vacillant de la nacelle.

Il était si pressé d’arriver, et la vivacité de son caractère dominait si fort, en cet instant, la contrainte qu’il s’imposait souvent pour ne pas froisser la tristesse de son ami, qu’il prit un aviron et rama lui-même avec le batelier, chantant comme un oiseau, et menaçant, par le déchaînement de sa gaieté impétueuse, de faire chavirer le bateau.

IV.

Ce ne fut qu’à la moitié du lac qu’il remarqua un redoublement de pâleur sur le visage de Karol. Il quitta le gouvernail, et s’asseyant auprès de lui : — Cher prince, lui dit-il, tu es mécontent de moi, je le crains ! Tu n’aurais pas voulu faire cette nouvelle connaissance… mais que veux-tu ? en voyage, il faut bien un peu déroger à ses habitudes. Je t’avais promis de ne pas te tourmenter à cet égard… J’ai tout oublié… j’étais si content !

— Je te pardonne tout, j’accepte tout, répondit le prince avec calme. L’amitié vit de sacrifices. Tu m’en as tant fait, que je t’en dois bien quelques-uns… Quoique pourtant… J’espérais que tu ne me mènerais jamais chez une femme de mauvaise vie !

— Tais-toi, tais-toi, s’écria Salvator en lui saisissant la main avec force ; ne te sers pas de ces mots qui froissent et qui blessent ! Si un autre que toi parlait d’elle ainsi…

— Pardonne-moi, reprit Karol ; je ne songeais pas qu’elle était…… qu’elle avait dû être ta maîtresse !

— Ma maîtresse, à moi ! repartit Salvator avec viva-