Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, 1853.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
25
LUCREZIA FLORIANI.

état n’avait rien de contagieux. Elle pensait que la présence de ces êtres forts, jeunes et sains, aurait, au moral comme au physique, un pouvoir mystérieux et bienfaisant pour ranimer la flamme pâlissante de la vie chez le jeune malade…



Elle tressaillait en se trouvant en face d’un spectre. (Page 29.)

Et qui pourrait assurer qu’elle se fît illusion à cet égard ? Ne fût-ce que l’imagination qui joue un si grand rôle dans les maladies nerveuses, il est certain que Karol respirait plus à l’aise, lorsque les enfants étaient là, et que leur pure haleine, mêlée à celle de leur mère, rendait l’air plus souple et plus suave à sa poitrine ardente. On tient assez compte de la répugnance que doivent éprouver les malades à être approchés par des personnes qui leur inspirent du dégoût et de l’impatience : on en doit tenir aussi du bien-être physique que leur procure la satisfaction d’être soignés ou seulement entourés par des êtres sympathiques et d’un extérieur agréable. Si, à notre heure dernière, au lieu du sinistre appareil de la mort, on pouvait faire descendre des formes célestes autour de notre chevet, et nous bercer de la musique des séraphins, nous subirions sans effort et sans angoisse ce rude moment de l’agonie.

Karol, agité de rêves pénibles, se réveillait parfois sous le coup de la terreur et du désespoir. Alors il cherchait instinctivement un refuge contre les fantômes dont il était assiégé. Il trouvait alors les bras maternels de la Floriani pour l’entourer comme d’un rempart, et son sein pour y reposer sa tête brisée. Puis, en ouvrant les yeux, et en les promenant avec égarement autour de lui, il voyait les belles têtes intelligentes et affectueuses de Célio et de Stella qui lui souriaient. Il leur souriait aussi machinalement, comme par un effort de complaisance, mais son rêve était dissipé et son épouvante oubliée. Son cerveau, affaibli encore, entrait dans un autre ordre de divagations. Il regardait le petit Salvator dont on approchait le visage rose du sien, et il croyait lui voir des ailes ; il s’imaginait que ce beau chérubin voltigeait autour de sa tête pour la rafraîchir. La voix de Béatrice était d’une douceur incomparable, et, lorsqu’elle causait doucement avec ses frères, il croyait l’entendre chanter. Il attribuait à ce timbre frais et flatteur des intonations musicales qui n’étaient perceptibles que pour lui seul ; et un jour que la petite discutait à demi-voix pour un jouet avec sa sœur, la Floriani fut surprise d’entendre le prince lui