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KOURROGLOU.

« Frère, pèse-moi un okha de viande, et rends-moi le reste en monnaie de cuivre. Seulement sois prompt, mes compagnons sont partis, et il faut que je coure les rejoindre. » Ayvaz se dit : « Voilà une bonne pratique pour moi ; je vends un okha de viande deux francs, il ne m’en donne qu’un, et me demande son reste en monnaie, et cela promptement, parce que, dit-il, ses amis sont partis. » Ayvaz était orgueilleux à cause de sa beauté, et il dit avec aigreur : « Viens ici, approche-toi plus près, maître niais ? Que veux-tu dire ? » Kourroglou s’approcha d’Ayvaz, et celui-ci ayant plié un de ses doigts, lui donna un bon coup sur la joue avec les quatre autres. Kourroglou dit : « Jeune espiègle, pourquoi me frappes-tu ? » Mais il était joyeux dans son cœur, et il ne ressentait aucune colère de cette preuve de courage. Ayvaz repartit : « Drôle, tu veux déprécier ma marchandise ; en présence de tant de pratiques, tu veux acheter un okha de viande pour un sou, et avoir encore du retour, tandis que je vends un okha deux livres. » Kourroglou dit : « Tu es un enfant ; ce n’est pas pour acheter de la viande mais pour en vendre, que je suis venu ici. — Que veux-tu dire, demanda Ayvaz ? — Sot que tu es, répliqua Kourroglou, j’ai neuf cents moutons à vendre, et je venais ici pour connaître le prix réel de la viande, savoir si elle est chère ou bon marché. » On dit, avec vérité, que la raison abandonne la tête d’un boucher quand il entend le bêlement d’un troupeau. Ayvaz n’eut pas plus tôt entendu parler de neuf cents moutons, qu’il dit : « Mon oncle, je ne savais pas que tu étais un maître berger ; j’ai été grossier dans mon langage ; tu es en droit de me couper la langue. Je t’ai frappé, coupe-moi la main, pardonne seulement ma faute. »



À la fin enfonçant la cuiller… (Page 7.)

Kourroglou fit l’improvisation suivante :

Improvisation. — « Tu frapperas l’ennemi armé, fût-il enveloppé dans un feuillet du Coran ! Mon futur enfant ! lumière de mes yeux ! je ne me fâche pas de semblables bagatelles. » Ayvaz dit alors : — « Pour l’amour de Dieu ! mon cher seigneur, que personne ne sache que tu as amené neuf cents moutons. Notre ville a cinquante bouchers ; ils vont tous te persécuter, et tu seras obligé de diviser ton troupeau entre eux tous ; de sorte qu’il n’y en aura pas plus de vingt pour ma part. Tu feras bien mieux d’attendre ici et de t’asseoir, tandis que je vais aller chercher mon père. Nous achèterons à