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LUCREZIA FLORIANI.



Le prince Karol de Roswald.

Elle y trouva d’abord un bonheur extrême, des joies sans mélange. Karol était si dominé, si soumis, il s’était abjuré si complétement, il subissait une telle fascination, qu’un mot, un regard, une innocente caresse, le jetaient dans une ivresse inappréciable. Il y avait à la surface de son être une pureté angélique, et les âcres passions qui fermentaient inconnues et oisives encore au fond de son âme, ne s’éveillèrent pas tout de suite. Il n’avait jamais brûlé du feu de l’amour, il n’avait jamais senti battre contre son cœur le cœur d’une femme, et les premières émotions de ce genre furent pour lui plus vives et plus profondes qu’elles ne le sont chez un adolescent aux prises avec le premier éveil des sens.

Il y avait longtemps déjà que ces désirs germaient en lui sans qu’il voulût s’en rendre compte. Il les avait trompés à l’aide de la poésie et de ce religieux sentiment pour une fiancée, dont il avait à peine senti la main effleurer la sienne. Ses rêves arrivaient donc tout frais, tout craintifs et tout palpitants à la réalité. Il avait encore les terreurs d’un enfant et déjà l’énergie d’un homme. Ce mélange de pudeur et d’emportement lui donnait un charme irrésistible que la Floriani n’avait encore jamais rencontré. Aussi, chaque jour l’enflamma-t-il d’une sympathie, d’une admiration, et enfin d’un enthousiasme dont elle ne mesura pas les progrès.

Toujours téméraire par bravoure, et insouciante pour elle-même à cause de ceux qu’elle aimait, elle ne vit pas venir l’orage. Pouvait-elle croire autre chose que ce qu’il lui disait, et s’inquiéter d’un avenir qui semblait devoir être la continuation indéfinie de cet amour céleste ?

Il se trompait lui-même en trompant sa maîtresse, ce doux et terrible enfant, qui, tout vaincu et tout dévoré par la passion, n’y croyait pas encore, qui avait vécu d’illusions et se fiait à la puissance des mots sans apprécier les nuances d’idées et de faits qu’ils représentent. Quand il avait appelé la Floriani ma mère, quand il avait pressé le bord de son vêtement contre ses lèvres ardentes, quand il avait dit en s’endormant : « plutôt mourir que de la profaner dans ma pensée, » il se jugeait plus fort que la nature humaine, et méprisait encore la tempête qui grondait dans son sein.

Et elle, l’aveugle enfant, car c’était un enfant encore plus ingénu et plus crédule que Karol, cette femme que,