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SIMON.

taines et craintives, ces âmes soeurs s’appellent et se repoussent en même temps. Elles cherchent à se saisir et craignent de se laisser étreindre. La haine et l’amour sont alors des passions également imminentes, également prêtes à jaillir comme l’éclair du choc de ces natures qui ont la dureté du caillou, et qui, comme lui, recèlent le feu sacré dans leur sein.



Et en se retournant, il vit deux personnages… (Page 7.)

Simon Féline ne put s’expliquer l’effet que cette femme produisit sur lui. Il eut besoin de toute sa force pour soutenir un regard qui, en cet instant sans doute, rencontrait le seul être auquel il pût faire comprendre toute sa puissance. Ce regard, qui n’avait probablement rien de surnaturel pour le vulgaire, fit tressaillir Féline comme un appel ou comme un défi ; il ne sut pas lequel des deux ; mais toute sa volonté se concentra dans son œil pour y répondre ou pour l’affronter. Le visage de la femme inconnue n’avait pourtant rien qui ressemblât à l’effronterie ; son front semblait être le siége d’une audace noble ; le reste du visage, pâle et d’une régulière beauté, exprimait un calme voisin de la froideur. Le regard seul était un mystère ; il semblait être le ministre d’une pensée scrutatrice et impénétrable. Simon était d’une organisation délicate et nerveuse ; son émotion fut si vive que son trouble intérieur produisit quelque chose comme un sentiment de colère et de répulsion.

Tout cela se passa plus rapidement que la parole ne peut le raconter ; mais, depuis le moment où elle leva son ombrelle jusqu’à celui où elle la baissa lentement sur son visage, tant d’étonnement se peignit sur celui de Simon que le comte de Fougères en fut frappé. Il attribua à la seule admiration la fixité du regard de sa nouvelle connaissance et la légère contraction de sa bouche.

« C’est ma fille, lui dit-il d’un air de vanité satisfaite, mon unique enfant ; c’est une Italienne. J’aurais voulu l’élever un peu plus à la française ; mais son sexe la plaçait sous l’autorité plus immédiate de sa mère…

— Vous vous êtes marié en pays étranger ? » demanda Simon, qui dès cet instant affecta des manières très-assurées, sans doute pour faire sentir à mademoiselle de Fougères qu’elle ne l’avait pas intimidé.

Le comte, qui n’aimait rien tant que de parler de lui, de sa famille et de ses affaires, satisfit la curiosité feinte ou réelle de son interlocuteur.

« J’ai épousé une Vénitienne, répondit-il, et j’ai eu le