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LE PICCININO.

me voyant travailler à ma fenêtre, il s’était placé au-dessous et se tenait là, me regardant avec des yeux qui m’embarrassaient, quoique je ne voulusse pas les rencontrer. Je lui avais jeté une aumône afin de m’en délivrer. Il n’avait pas daigné la ramasser. « Jeune fille, me disait-il, ce n’est pas ainsi qu’on présente l’offrande à un frère de mon ordre. On se donne la peine de descendre, de venir à lui, et de se recommander à ses prières, au lieu de lui jeter un morceau de pain comme à un chien. Vous n’êtes point une fille pieuse, et vos parents vous ont mal élevée. Je gage que vous n’êtes pas du pays ? »



Retourner à la fontaine… (Page 85.)

« J’eus le tort de lui répondre. Il m’avait mise de mauvaise humeur, avec ses sermons, et il était si laid, si malpropre, si insolent, que je ne pouvais m’empêcher de lui témoigner mon dégoût. Il me semblait le reconnaître pour l’avoir vu, le matin, au palais Palmarosa. Mon frère s’était inquiété alors de sa figure, et avait questionné mon oncle Fra-Angelo. Il nous avait fait partir, en nous promettant de découvrir qui ce pouvait être, car il ne le reconnaissait point pour un capucin, et mon père disait qu’il ressemblait à un certain abbé Ninfo, qui nous en veut, à ce qu’il paraît.

« Pourtant, soit que ce ne fût pas le même, soit qu’il eût changé son déguisement, il avait l’habit d’un carme déchaussé lorsqu’il vint ici ; et, au lieu d’une grosse barbe noire et frisée, il avait une barbe rouge, courte et raide comme le poil d’un sanglier. Il était encore plus affreux de cette façon-là, et, si ce n’est pas le même homme, je puis bien dire que j’ai vu aujourd’hui les deux plus vilains moines qu’il y ait dans Valdemona.

― Vous avez donc eu l’imprudence de causer avec lui ? dit Magnani.

― Causer n’est pas le mot ; je l’ai prié d’aller prêcher plus loin, en lui disant que je n’avais ni le temps de descendre, ni celui d’écouter ses réprimandes ; que, s’il ne trouvait pas mon aumône digne de lui, il la ramassât pour le premier pauvre qu’il rencontrerait, et qu’enfin, s’il était né orgueilleux, il avait eu grand tort de se faire moine mendiant.

― Sans doute, il fut irrité de vos réponses ?

― Non, car si je l’avais vu mortifié ou en colère, j’aurais eu la charité ou la prudence de n’en pas tant dire. Mais, au lieu de continuer à me gronder, il se mit à sou-