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INDIANA.

de l’être ! Vous avez dansé avec lui pendant tout un bal, m’a-t-on dit.



Elle se leva et se pencha sur l’eau. (Page 23.)

— On vous a trompé.

— Eh ! c’est votre tante elle-même ! Au reste, ne vous en défendez pas tant ; je ne le trouve pas mauvais, puisque votre tante a désiré et aidé ce rapprochement entre nous. Il y a longtemps que M. de Ramière le cherche. Il m’a rendu, sans ostentation et presque à mon insu, des services importants pour mon exploitation ; et comme je ne suis pas si féroce que vous le dites, comme aussi je ne veux pas avoir d’obligations à un étranger, j’ai songé à m’acquitter envers lui.

— Et comment ?

— En m’en faisant un ami, en allant à Cercy ce matin avec sir Ralph. Nous avons trouvé là une bonne femme de mère qui est charmante, un intérieur élégant et riche, mais sans faste, et qui ne sent nullement l’orgueil des vieux noms. Après tout, c’est un bon enfant que ce Ramière, et je l’ai invité à venir déjeuner avec nous et à visiter la fabrique. J’ai de bons renseignements sur son frère, et je me suis assuré qu’il ne peut me faire de tort en se servant des mêmes moyens que moi ; ainsi donc j’aime mieux que cette famille en profite que toute autre ; aussi bien, il n’est pas de secrets longtemps gardés, et le mien pourra être bientôt celui de la comédie, si les progrès de l’industrie vont ce train-là.

— Pour moi, dit sir Ralph, vous savez, mon cher Delmare, que j’avais toujours désapprouvé ce secret : la découverte d’un bon citoyen appartient à son pays autant qu’à lui, et si je…

— Parbleu ! vous voilà bien, sir Ralph, avec votre philanthropie pratique !… Vous me ferez croire que votre fortune ne vous appartient pas, et que, si demain la nation en prend envie, vous êtes prêt à changer vos cinquante mille francs de rente pour un bissac et un bâton ! Cela sied bien à un gaillard comme vous, qui aime les aises de la vie comme un sultan, de prêcher le mépris des richesses !

— Ce que j’en dis, reprit sir Ralph, ce n’est point pour faire le philanthrope ; c’est que l’égoïsme bien entendu nous conduit à faire du bien aux hommes pour les empêcher de nous faire du mal. Je suis égoïste, moi, c’est connu. Je me suis habitué à n’en plus rougir, et, en analysant toutes les vertus, j’ai trouvé pour base de