tant le conseil de Lucette, qu’au danger d’être grondée, punie, et celui-là je le bravais ; mais celui de faire penser mal de maman, vous m’y faites songer, et je m’en vais… Adieu, Monsieur !
Adieu, Monsieur !
Vous teniez donc bien toutes les deux à voir cette fête ? ne devez-vous pas être rassasiées de ces sortes de spectacles, au milieu du luxe qui règne autour de vous ?
Oh bien, oui ! nous n’en jouissons guère ! Dès qu’on s’amuse, on nous renvoie ; dès que nous avons envie de nous amuser, on nous enferme.
N’écoutez pas ce qu’elle dit, et ne croyez pas que j’aie aucun regret à ces plaisirs. J’en suis dégoûtée sans les avoir connus, car je sais ce qu’ils coûtent de fatigues à ceux qui les préparent ; mais j’avais une idée aujourd’hui, une idée sérieuse, je vous assure, en venant ici.
Dites-la-moi.
Oh ! qu’il est sans façons ! il fait comme ça le vertueux, mais je suis sûre que c’est un Tartufle ; ça m’a tout l’air d’un prêtre déguisé !
Je veux bien vous la dire ; pourquoi pas ? je voulais voir une personne !…
Ah ! c’est différent. (À part.) Je commence à comprendre.
Bah ! ça n’est pas du tout comme vous vous imaginez ; nous voulions voir… comment s’appelle-t-il donc, mam’selle, celui que nous voulions voir ?
Peut-être le connaissez-vous : le philosophe, l’Américain,… celui qui a fait du bien à la Louisiane, et qui a publié des écrits contre l’esclavage ?… Moi, j’en ai lu un de ces écrits, et c’est la seule fois que j’aie lu quelque chose de sérieux. Pourtant je l’ai compris ; du moins, il me semble, car j’ai pensé, pour la première fois, qu’il y avait bien des misères dans ce monde, des infortunes dignes de pitié, et des richesses dignes de mépris. Je ne savais pas ces choses-là ; eh bien ! c’est le livre de George Freeman qui me les a apprises.
George Freeman ?
Ah ! vous le connaissez ? que vous êtes heureux !
Vous lui direz bien des choses de not’ part. Moi aussi, j’en ai lu de son livre, car je sais lire ; c’est mam’selle Louise qui m’a enseigné, et j’ai compris deux ou trois lignes par-ci par-là, qui sont, ma fine, bien tapées.
Eh bien ! puisque vous ressentez quelque sympathie pour ce George Freeman, si vous voulez bien le permettre, je vous le présenterai quelque jour devant vos parents.
Il n’y faut pas songer ; maman ne veut pas qu’on me voie, encore moins lui qu’un autre.
Et pourquoi donc ?
Ah ! je ne sais pas !
Parce qu’on dit comme ça qu’il est bel homme, et que madame a peur qu’il ne s’amourache de sa fille, au lieu de s’amouracher d’elle.
Allons ! n’y pensons plus ! vous lui direz seulement qu’il y a une petite fille qui… Non ! ne lui dites rien, que lui importe ?
Dites toujours, je ne le lui redirai pas.
Eh bien ! je voulais dire qu’il y a une petite fille qui peut-être ira passer le reste de ses jours dans un couvent, car tous les autres hommes lui paraissent fous ou méchants. Adieu, Monsieur !
Un mot encore ! un instant ! personne ne vient !
Si fait, voilà justement M. le comte dans la grande allée avec du monde ! Eh vite ! mam’selle Louise par ici !…
Par ici ! il en vient encore.
En ce cas, par là ! sous l’estrade ! Tenez, c’est creux, sous ce rideau !
Ô mon Dieu ! maman ! Ah ! je suis perdue si elle me voit !
Comme elle la craint ! Oh ! la peur règne donc toujours ici !… Que vois-je ?… (Il hésite un instant, puis fait un effort et se décide à passer auprès de Julie, qui ne fait pas attention à lui. Il disparaît parmi les arbres.)
Scène IV.
Voyez, madame la comtesse, il ne tiendrait qu’à vous ! Si vous aviez la bonté de dire seulement quelques mots pour moi à M. de Puymonfort…
Pardon, madame la marquise ; mais en vérité vous auriez en moi un faible avocat. Mon mari ne me permet pas de lui parler d’affaires.
Madame de Puymonfort plaisante. On sait que son mari est à ses pieds : et le moyen d’en douter, quand on la voit !
Ah ! duchesse ! nous ne savons que trop qu’il l’adore, car il est invulnérable à toutes nos attaques ; et si, nous autres femmes, nous venons solliciter madame, ce qui n’est pas dans l’ordre, à coup sûr, c’est en désespoir de cause. N’est-ce pas, madame la présidente ?
Aussi madame abuse de sa supériorité et nous traite en vaincues.
Oh ! Mesdames, vous m’accablez de vos épigrammes. Mais que puis-je faire ? Mon mari m’avait fait cadeau de quelques-unes de ces actions pour ma toilette, je vous les ai sacrifiées ; à présent, je n’ai plus rien, adressez-vous à lui. Tenez, le voici !
(Samuel Bourset s’approche, suivi du duc et de plusieurs gentilshommes.)
Ah ! monsieur de Puymonfort !
Scène V.
Pardon ! mille pardons. Mesdames ! Je suis désolé, mais je ne puis pas vous entendre toutes à la fois, (Aux autres personnages.) Je ne puis absolument plus rien pour vous, Messieurs. J’ai renoncé à tous mes bénéfices dans cette affaire pour vous être agréable. Si vous voulez vous adresser à M. Law, peut-être sera-t-il plus heureux. Je viens de voir passer sa voiture.