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JEANNE.



Allons, allons, disait gaiement le sacristain. (Page 7.)

— C’est comme moi, je suis toujours sur ce moment-là ; mais le moment passe et je ne vois rien.

— Je ne sais pas comment ça peut vous amuser de rire comme ça de tout.

— Tiens ! si ça n’est pas gentil de rire, à présent…

— Riez avec nous si ça vous plaît, mais ne riez pas de ça devant les étrangers qui ne sont pas d’ici. Ça nous porterait malheur.

— Attendez ! attendez ! mère Guite, je sens quelque chose de sec sous ma bêche. Je crois que c’est la chose. Tendez votre tablier, j’vas y mettre mon pesant d’or.

— Pouah ! ne jetez donc pas comme ça les os de chrétien sur moi. Ça fait peur !

— Ça ne leur fait pas de mal, allez ! Depuis le temps que je creuse dans la terre, je peux bien dire que je n’y ai encore trouvé que de ça. Il y en a de ces os de mort !… Y en a ! y en a !… à mort, quoi ! faut qu’on ait tué rudement du monde avant nous dans l’endroit, car je n’en peux pas trouver la fin, de ces os !

— Ça n’est pas déjà si bon de creuser ! Plus on creuse, plus on fouille, plus on lève les pierres, moins on trouve.

— Vous y pensez donc toujours ? Elles sont toutes comme ça, ces vieilles femmes. Elles se rendent folles les unes les autres en se contant des histoires.

— Mais puisque ça s’est toujours conté comme ça dans le pays d’ici, depuis que le monde est monde ! Ce qui s’est dit de tout temps ne peut pas être faux. »

Et la vieille se mit à parler avec animation, mais en patois marchois, et quoique ce dialecte ne soit pas difficile à comprendre par lui-même, il devient inintelligible aux oreilles non exercées à cause de ses brusques élisions et de la volubilité que les femmes surtout mettent à le débiter. Les habitants de cette partie de la Marche, qui a été si longtemps le Berri, emploient indifféremment le patois et le vieux français naïf, qu’on parle en Berri[1]. Mais soit que la langue d’oc fût plus familière à la vieille femme que la langue d’oil, soit qu’elle crût s’exprimer

  1. Ce français est extrêmement remarquable, et nous sommes convaincus que c’est la plus ancienne langue d’oil qui soit restée en usage en France. Mais comme il est chargé de locutions particulières qui demanderaient de continuelles explications, nous ne mettrons dans la bouche de nos personnages principaux qu’une traduction libre.