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VALENTINE.

Valentine restait seule pour plusieurs jours, avec sa grand’mère et sa nourrice, au château de Raimbault.

XXV.

Une nuit, Bénédict, accablé jusque-là par des souffrances atroces, qui ne lui avaient pas laissé retrouver une pensée, s’éveilla plus calme, et fit un effort pour se rappeler sa situation. Sa tête était empaquetée au point qu’une partie de son visage était privée d’air. Il fit un mouvement pour soulever ces obstacles et retrouver la première faculté qui s’éveille en nous, le besoin de voir, avant celui même de penser. Aussitôt une main légère détacha les épingles, dénoua un bandeau, et l’aida à se satisfaire. Il regardait cette femme pâle qui se penchait sur lui, et, à la lueur vacillante d’une veilleuse, il distingua un profil noble et pur, qui avait de la ressemblance avec celui de Valentine. Il crut avoir une vision, et sa main chercha celle du fantôme. Le fantôme saisit la sienne et y colla ses lèvres.

— Qui êtes-vous ? dit Bénédict en frissonnant.

— Vous me le demandez ? lui répondit la voix de Louise.

Cette bonne Louise avait tout quitté pour venir soigner son ami. Elle était là jour et nuit, souffrant à peine que madame Lhéry la relayât pendant quelques heures dans la matinée, se dévouant au triste emploi d’infirmière auprès d’un moribond presque sans espoir de salut. Pourtant, grâce aux admirables soins de Louise et à sa propre jeunesse, Bénédict échappa à une mort presque certaine, et un jour il trouva assez de force pour la remercier et lui reprocher en même temps de lui avoir conservé la vie.

— Mon ami, lui dit Louise, effrayée de l’abattement moral qu’elle trouvait en lui, si je vous rappelle cruellement à cette existence que mon affection ne saurait embellir, c’est par dévouement pour Valentine.

Bénédict tressaillit.

— C’est, continua Louise, pour conserver la sienne, qui, en ce moment, est au moins aussi menacée que la vôtre.

— Menacée ! pourquoi ? s’écria Bénédict.

— En apprenant votre folie et votre crime, Bénédict, Valentine, qui sans doute avait pour vous une tendre amitié, est tombée subitement malade. Un rayon d’espoir pourrait la sauver peut-être ; mais elle ignore que vous vivez et que vous pouvez nous être rendu.

— Qu’elle l’ignore donc toujours ! s’écria Bénédict, et puisque le mal est fait, puisque le coup est porté, laissez-la en mourir avec moi.

En parlant ainsi, Bénédict arracha les bandages de sa blessure, et l’eût rouverte sans les efforts de Louise, qui lutta courageusement avec lui, et tomba épuisée d’énergie, et abreuvée de douleur après l’avoir sauvé de lui-même.

Une autre fois, il sembla sortir d’une profonde léthargie, et saisissant la main de Louise avec force :

— Pourquoi êtes-vous ici ? lui dit-il ; votre sœur est mourante, et c’est à moi que s’adressent vos soins !

Subjuguée par un mouvement de passion et d’enthousiasme Louise, oubliant tout, s’écria :

— Et si je vous aimais plus encore que Valentine ?

— En ce cas vous êtes maudite, répondit Bénédict en la repoussant d’un air égaré ; car vous préférez le chaos à la lumière, le démon à l’archange. Vous êtes une misérable folle ! Sortez d’ici ! Ne suis-je pas assez malheureux, sans que vous veniez me navrer l’âme de vos malheurs ?

Louise, atterrée, cacha sa figure dans les rideaux et en enveloppa sa tête pour étouffer ses sanglots. Bénédict se mit à pleurer aussi, et ces larmes le calmèrent.

Un instant après il la rappela.

— Je crois que je vous ai parlé durement tout à l’heure, lui dit-il ; il faut pardonner quelque chose au délire de la fièvre.

Louise ne répondit qu’en baisant la main qu’il lui tendait. Bénédict eut besoin de tout le peu de force morale qu’il avait reconquise pour supporter sans humeur ce témoignage d’amour et de soumission. Explique qui pourra cette bizarrerie ; la présence de Louise, au lieu de le consoler, lui était désagréable ; ses soins l’irritaient. La reconnaissance luttait chez lui avec l’impatience et le mécontentement. Recevoir de Louise tous ces services, toutes ces marques de dévouement, c’était comme un reproche, comme une critique amère de son amour pour une autre. Plus cet amour lui était funeste, plus il s’offensait des efforts qu’on faisait pour l’en dissuader, il s’y cramponnait comme on fait avec orgueil aux choses désespérées. Et puis, s’il avait eu, dans son bonheur, l’âme assez large pour accorder de l’intérêt et de la compassion à Louise, il ne l’avait plus dans son désespoir. Il trouvait que ses propres maux étaient assez lourds à porter, et cette espèce d’appel fait par l’amour de Louise à sa générosité lui semblait la plus égoïste et la plus inopportune des exigences. Ces injustices étaient inexcusables peut-être, et cependant les forces de l’homme sont-elles bien toujours proportionnées à ses maux ? C’est une consolante promesse évangélique ; mais qui tiendra la balance, et qui sera le juge ? Dieu nous rend-il ses comptes ? daigne-t-il mesurer la coupe après que nous l’avons vidée ?

La comtesse était absente depuis deux jours, lorsque Bénédict eut son plus terrible redoublement de fièvre. Il fallut l’attacher dans son lit. C’est encore une cruelle tyrannie que celle de l’amitié ; souvent elle nous impose une existence pire que la mort, et emploie la force arbitraire pour nous attacher au pilori de la vie.

Enfin Louise, ayant demandé à être seule avec lui, le calma en lui répétant avec patience le nom de Valentine.

— Eh bien ! dit tout d’un coup Bénédict en se dressant avec force et comme frappé de surprise, où est-elle ?

— Bénédict, répondit-elle, elle est comme vous aux portes du tombeau. Voulez-vous, par une mort furieuse, empoisonner ses derniers instants ?

— Elle va mourir ! dit-il avec un sourire affreux. Ah ! Dieu est bon ! nous serons donc unis !

— Et si elle vivait ? lui dit Louise, si elle vous ordonnait de vivre ! si, pour prix de votre soumission, elle vous rendait son amitié ?

— Son amitié ! dit Bénédict avec un rire dédaigneux, qu’en ferais-je ? N’avez-vous pas la mienne ? qu’en retirez-vous ?

— Oh ! vous êtes bien cruel, Bénédict ! s’écria Louise avec douleur ; mais pour vous sauver que ne ferais-je pas ! Eh bien ! dites-moi, si Valentine vous aimait, si je l’avais vue, si j’avais recueilli dans son délire des aveux que vous n’avez jamais osé espérer ?

— Je les ai reçus moi-même ! répondit Bénédict avec le calme apparent dont il entourait souvent ses plus violentes émotions. Je sais que Valentine m’aime comme j’avais aspiré à être aimé. Me raillerez-vous maintenant ?

— À Dieu ne plaise ! répondit Louise stupéfaite.

Louise s’était introduite la nuit précédente auprès de Valentine. Il lui avait été facile de prévenir et de gagner la nourrice, qui lui était dévouée, et qui l’avait vue avec joie au chevet de sa sœur. C’est alors qu’elles avaient réussi à faire comprendre à cette infortunée que Bénédict n’était pas mort. D’abord elle avait témoigné sa joie par d’énergiques caresses à ces deux personnes amies ; puis elle était retombée dans un état d’abattement complet, et, à l’approche du jour, Louise avait été forcée de se retirer sans pouvoir obtenir d’elle un regard ou un mot.

Elle apprit le lendemain que Valentine était mieux, et passa la nuit entière auprès de Bénédict, qui était plus mal ; mais la nuit suivante, ayant appris que Valentine avait eu un redoublement, elle quitta Bénédict au milieu de son paroxysme, et se rendit auprès de sa sœur. Partagée entre ces deux malades, la triste et courageuse Louise s’oubliait elle-même.

Elle trouva le médecin auprès de Valentine. Celle-ci était calme et dormait lorsqu’elle entra. Alors, prenant le docteur à part, elle crut de son devoir de lui ouvrir son cœur, et de confier à sa délicatesse les secrets de ces deux amants, pour le mettre à même d’essayer sur eux un traitement moral plus efficace.

« Vous avez fort bien fait, répondit le médecin, de me