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LA MARE AU DIABLE

— Eh bien ! oui, je suis un enfant, dit-elle, et c’est à cause de cela que je crains un homme trop raisonnable. Vous voyez bien que je suis trop jeune pour vous, puisque déjà vous me reprochez de parler sans raison ! Je ne puis pas avoir plus de raison que mon âge n’en comporte.

— Hélas ! mon Dieu, que je suis donc à plaindre d’être si maladroit et de dire si mal ce que je pense ! s’écria Germain. Marie, vous ne m’aimez pas, voilà le fait ; vous me trouvez trop simple et trop lourd. Si vous m’aimiez un peu, vous ne verriez pas si clairement mes défauts. Mais vous ne m’aimez pas, voilà !

— Eh bien ! ce n’est pas ma faute, répondit-elle, un peu blessée de ce qu’il ne la tutoyait plus ; j’y fais mon possible en vous écoutant, mais plus je m’y essaie et moins je peux me mettre dans la tête que nous devions être mari et femme.

Germain ne répondit pas. Il mit sa tête dans ses deux mains, et il fut impossible à la petite Marie de savoir s’il pleurait, s’il boudait, ou s’il était endormi. Elle fut un peu inquiète de le voir si morne et de ne pas deviner ce qu’il roulait dans son esprit ; mais elle n’osa pas lui parler davantage, et comme elle était trop étonnée de ce qui venait de se passer pour avoir envie de se rendormir, elle attendit le jour avec impatience, soignant toujours le feu et veillant l’enfant, dont Germain paraissait ne plus se souvenir. Cependant Germain ne dormait point ; il ne réfléchissait pas à son sort et ne faisait ni projets de courage, ni plans de séduction. Il souffrait, il avait une montagne d’ennuis sur le cœur. Il aurait voulu être mort. Tout lui paraissait devoir tourner mal pour lui, et s’il eût pu pleurer, il ne l’aurait pas fait à demi. Mais il y avait un peu de colère contre lui-même, mêlée à sa peine, et il étouffait sans pouvoir et sans vouloir se plaindre.

Quand le jour fut venu et que les bruits de la campagne l’annoncèrent à Germain, il sortit son visage de ses mains et se leva. Il vit que la petite Marie n’avait pas dormi non plus, mais il ne sut rien lui dire pour marquer sa sollicitude. Il était tout à fait découragé. Il cacha de nouveau le bât de la Grise dans les buissons, prit son sac sur son épaule, et, tenant son fils par la main :

— À présent, Marie, dit-il, nous allons tâcher d’achever notre voyage. Veux-tu que je te conduise aux Ormeaux ?

— Nous sortirons du bois ensemble, lui répondit-elle, et quand nous saurons où nous sommes, nous irons chacun de notre côté.

Germain ne répondit pas. Il était blessé de ce que la jeune fille ne lui demandait pas de la mener jusqu’aux Ormeaux, et il ne s’apercevait pas qu’il le lui avait offert d’un ton qui semblait provoquer un refus.

Un bûcheron qu’ils rencontrèrent au bout de deux cents pas les mit dans le bon chemin, et leur dit qu’après avoir passé la grande prairie ils n’avaient qu’à prendre, l’un tout droit, l’autre sur la gauche, pour gagner leurs différents gites, qui étaient d’ailleurs si voisins qu’on voyait distinctement les maisons de Fourche de la ferme des Ormeaux, et réciproquement.

Puis, quand ils eurent remercié et dépassé le bûcheron, celui-ci les rappela pour leur demander s’ils n’avaient pas perdu un cheval.

— J’ai trouvé, leur dit-il, une belle jument grise dans ma cour, où peut-être le loup l’aura forcée de chercher un refuge. Mes chiens ont jappé à nuitée, et au point du jour j’ai vu la bête chevaline sous mon hangar ; elle y est encore. Allons-y, et si vous la reconnaissez, emmenez-la.

Germain ayant donné d’avance le signalement de la Grise et s’étant convaincu qu’il s’agissait bien d’elle, se mit en route pour aller rechercher son bât. La petite Marie lui offrit alors de conduire son enfant aux Ormeaux, où il viendrait le reprendre lorsqu’il aurait fait son entrée à Fourche.

— Il est un peu malpropre, après la nuit que nous avons passée, dit-elle, Je nettoierai ses habits, je laverai son joli museau, je le peignerai, et quand il sera beau et brave, vous pourrez le présenter à votre nouvelle famille.

— Et qui te dit que je veuille aller à Fourche ? répondit Germain avec humeur. Peut-être n’irai-je pas !

— Si fait, Germain, vous devez y aller, vous irez, reprit la jeune fille.

— Tu es bien pressée que je me marie avec une autre, afin d’être sûre que je ne t’ennuierai plus ?

— Allons, Germain, ne pensez plus à cela : c’est une idée qui vous est venue dans la nuit, parce que cette mauvaise aventure avait un peu dérangé vos esprits. Mais à présent il faut que la raison vous revienne ; je vous promets d’oublier ce que vous m’avez dit et de n’en jamais parler à personne.

— Et parles-en si tu veux. Je n’ai pas l’habitude de renier mes paroles. Ce que je t’ai dit était vrai, honnête, et je n’en rougirais devant personne.

— Oui ; mais si votre future savait qu’au moment d’arriver, vous avez pensé à une autre, ça la disposerait mal pour vous. Ainsi faites attention aux paroles que vous direz maintenant ; ne me regardez pas comme ça devant le monde, avec un air tout singulier. Songez au père Maurice qui compte sur votre obéissance, et qui serait bien en colère contre moi si je vous détournais de faire sa volonté. Bonjour, Germain ; j’emmène Petit-Pierre afin de vous forcer d’aller à Fourche. C’est un gage que je vous garde.

— Tu veux donc aller avec elle ? dit le laboureur à son fils, en voyant qu’il s’attachait aux mains de la petite Marie, et qu’il la suivait résolument.

— Oui, père, répondit l’enfant qui avait écouté et compris à sa manière ce qu’on venait de dire sans méfiance devant lui. Je m’en vais avec ma Marie mignonne : tu viendras me chercher quand tu auras fini de te marier ; mais je veux que Marie reste ma petite mère.

— Tu vois bien qu’il le veut, lui ! dit Germain à la jeune fille. Écoute, Petit-Pierre, ajouta-t-il, moi je le souhaite, qu’elle soit ta mère et qu’elle reste toujours avec toi : c’est elle qui ne le veut pas. Tâche qu’elle t’accorde ce qu’elle me refuse.

— Sois tranquille, mon père, je lui ferai dire oui : la petite Marie fait toujours ce que je veux.

Il s’éloigna avec la jeune fille. Germain resta seul, plus triste, plus irrésolu que jamais.


XII.

LA LIONNE DU VILLAGE.

Cependant, quand il eut réparé le désordre du voyage dans ses vêtements et dans l’équipage de son cheval, quand il fut monté sur la Grise et qu’on lui eut indiqué le chemin de Fourche, il pensa qu’il n’y avait plus à reculer, et qu’il fallait oublier cette nuit d’agitations comme un rêve dangereux.

Il trouva le père Léonard au seuil de sa maison blanche, assis sur un beau banc de bois peint en vert-épinard. Il y avait six marches de pierre disposées en perron, ce qui faisait voir que la maison avait une cave. Le mur du jardin et de la chenevière était crépi à chaux et à sable. C’était une belle habitation ; il s’en fallait de peu qu’on ne la prit pour une maison de bourgeois.

Le futur beau-père vint au-devant de Germain, et après lui avoir demandé, pendant cinq minutes, des nouvelles de toute sa famille, il ajouta la phrase consacrée à questionner poliment ceux qu’on rencontre, sur le but de leur voyage : Vous êtes donc venu pour vous promener par ici ?

— Je suis venu vous voir, répondit le laboureur, et vous présenter ce petit cadeau de gibier de la part de mon beau-père, en vous disant, aussi de sa part, que vous devez savoir dans quelles intentions je viens chez vous.

— Ah ! ah ! dit le père Léonard en riant et en frappant sur son estomac rebondi, je vois, j’entends, j’y suis ! Et, clignant de l’œil, il ajouta : Vous ne serez pas le seul à faire vos compliments, mon jeune homme. Il y en a déjà trois à la maison qui attendent comme vous. Moi, je ne renvoie personne, et je serais bien embarrassé de donner tort ou raison à quelqu’un, car ce sont tous de