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LA MARE AU DIABLE

fait personne sans lui réserver son bonheur dans une autre personne. Si donc vous savez où la prendre, cette femme qu’il vous faut, prenez-la ; et qu’elle soit belle ou laide, jeune ou vieille, riche ou pauvre, nous sommes décidés, mon vieux et moi, à vous donner consentement ; car nous sommes fatigués de vous voir triste, et nous ne pouvons pas vivre tranquilles si vous ne l’êtes point.

— Ma mère, vous êtes aussi bonne que le bon Dieu, et mon père pareillement, répondit Germain ; mais votre compassion ne peut pas porter remède à mes ennuis : la fille que je voudrais ne veut point de moi.

— C’est donc qu’elle est trop jeune ? S’attacher à une jeunesse est déraison pour vous.

— Eh bien ! oui, bonne mère, j’ai cette folie de m’être attaché à une jeunesse, et je m’en blâme. Je fais mon possible pour n’y plus penser ; mais que je travaille ou que je me repose, que je sois à la messe ou dans mon lit, avec mes enfants ou avec vous, j’y pense toujours, je ne peux penser à autre chose.

— Alors c’est comme un sort qu’on vous a jeté, Germain ? Il n’y a à ça qu’un remède, c’est que cette fille change d’idée et vous écoute. Il faudra donc que je m’en mêle, et que je voie si c’est possible. Vous allez me dire où elle est et comment on l’appelle.

— Hélas ! ma chère mère, je n’ose pas, dit Germain, parce que vous allez vous moquer de moi.

— Je ne me moquerai pas de vous, Germain, parce que vous êtes dans la peine et que je ne veux pas vous y mettre davantage. Serait-ce point la Fanchette ?

— Non, ma mère, ça ne l’est point.

— Ou la Rosette ?

— Non.

— Dites donc, car je n’en finirai pas, s’il faut que je nomme toutes les filles du pays.

Germain baissa la tête et ne put se décider à répondre.

— Allons ! dit la mère Maurice, je vous laisse tranquille pour aujourd’hui, Germain ; peut-être que demain vous serez plus confiant avec moi, ou bien que votre belle-sœur sera plus adroite à vous questionner. Et elle ramassa sa corbeille pour aller étendre son linge sur les buissons.

Germain fit comme les enfants qui se décident quand ils voient qu’on ne s’occupera plus d’eux. Il suivit sa belle-mère, et lui nomma enfin en tremblant la petite Marie à la Guillette.

Grande fut la surprise de la mère Maurice : c’était la dernière à laquelle elle eût songé. Mais elle eut la délicatesse de ne point se récrier, et de faire mentalement ses commentaires. Puis, voyant que son silence accablait Germain, elle lui tendit sa corbeille en lui disant : — Alors est-ce une raison pour ne point m’aider dans mon travail ? Portez donc cette charge, et venez parler avec moi. Avez-vous bien réfléchi, Germain ? êtes-vous bien décidé ?

— Hélas ! ma chère mère, ce n’est pas comme cela qu’il faut parler : je serais décidé si je pouvais réussir ; mais comme je ne serais pas écouté, je ne suis décidé qu’à m’en guérir si je peux.

— Et si vous ne pouvez pas ?

— Toute chose a son terme, mère Maurice : quand le cheval est trop chargé, il tombe ; et quand le bœuf n’a rien à manger, il meurt.

— C’est donc à dire que vous mourrez, si vous ne réussissez point ? À Dieu ne plaise, Germain ! Je n’aime pas qu’un homme comme vous dise de ces choses-là, parce que quand il les dit il les pense. Vous êtes d’un grand courage, et la faiblesse est dangereuse chez les gens forts. Allons, prenez de l’espérance. Je ne conçois pas qu’une fille dans la misère, et à laquelle vous faites beaucoup d’honneur en la recherchant, puisse vous refuser.

— C’est pourtant la vérité, elle me refuse.

— Et quelles raisons vous en donne-t-elle ?

— Que vous lui avez toujours fait du bien, que sa famille doit beaucoup à la vôtre, et qu’elle ne veut point vous déplaire en me détournant d’un mariage riche.

— Si elle dit cela, elle prouve de bons sentiments, et c’est honnête de sa part. Mais en vous disant cela, Germain, elle ne vous guérit point, car elle vous dit sans doute qu’elle vous aime, et qu’elle vous épouserait si nous le voulions ?

— Voilà le pire ! elle dit que son cœur n’est point porté vers moi.

— Si elle dit ce qu’elle ne pense pas, pour mieux vous éloigner d’elle, c’est une enfant qui mérite que nous l’aimions et que nous passions par-dessus sa jeunesse à cause de sa grande raison.

— Oui ? dit Germain, frappé d’une espérance qu’il n’avait pas encore conçue : ça serait bien sage et bien comme il faut de sa part ! mais si elle est si raisonnable, je crains bien que c’est à cause que je lui déplais.

— Germain, dit la mère Maurice, vous allez me promettre de vous tenir tranquille pendant toute la semaine, de ne vous point tourmenter, de manger, de dormir, et d’être gai comme autrefois. Moi, je parlerai à mon vieux, et si je le fais consentir, vous saurez alors le vrai sentiment de la fille à votre endroit.

Germain promit, et la semaine se passa sans que le père Maurice lui dit un mot en particulier, et parût se douter de rien. Le laboureur s’efforça de paraître tranquille, mais il était toujours plus pâle et plus tourmenté.


XVII.

LA PETITE MARIE.

Enfin, le dimanche matin, au sortir de la messe, sa belle-mère lui demanda ce qu’il avait obtenu de sa bonne amie depuis la conversation dans le verger.

— Mais, rien du tout, répondit-il. Je ne lui ai pas parlé.

— Comment donc voulez-vous la persuader si vous ne lui parlez pas ?

— Je ne lui ai parlé qu’une fois, répondit Germain. C’est quand nous avons été ensemble à Fourche ; et, depuis ce temps-là, je ne lui ai pas dit un seul mot. Son refus m’a fait tant de peine que j’aime mieux ne pas l’entendre recommencer à me dire qu’elle ne m’aime pas.

— Eh bien ! mon fils, il faut lui parler maintenant ; votre beau-père vous autorise à le faire. Allez, décidez-vous ! je vous le dis, et, s’il le faut, je le veux ; car vous ne pouvez pas rester dans ce doute-là.

Germain obéit. Il arriva chez la Guillette, la tête basse et l’air accablé. La petite Marie était seule au coin du feu, si pensive qu’elle n’entendit pas venir Germain. Quand elle le vit devant elle, elle sauta de surprise sur sa chaise, et devint toute rouge.

— Petite Marie, lui dit-il en s’asseyant auprès d’elle, je viens te faire de la peine et t’ennuyer, je le sais bien : mais l’homme et la femme de chez nous (désignant ainsi, selon l’usage, les chefs de famille) veulent que je te parle et que te demande de m’épouser. Tu ne le veux pas, toi, je m’y attends.

— Germain, répondit la petite Marie, c’est donc décidé que vous m’aimez ?

— Ça te fâche, je le sais, mais ce n’est pas ma faute : si tu pouvais changer d’avis, je serais trop content, et sans doute je ne mérite pas que cela soit. Voyons, regarde-moi, Marie, je suis donc bien affreux ?

— Non, Germain, répondit-elle en souriant, vous êtes plus beau que moi.

— Ne te moque pas ; regarde-moi avec indulgence ; il ne me manque encore ni un cheveu ni une dent. Mes yeux te disent que je t’aime. Regarde-moi donc dans les yeux, ça y est écrit, et toute fille sait lire dans cette écriture-là. Marie regarda dans les yeux de Germain avec son assurance enjouée : puis, tout à coup, elle détourna la tête et se mit à trembler.

— Ah ! mon Dieu ! je te fais peur, dit Germain ; tu me regardes comme si j’étais le fermier des Ormeaux. Ne me crains pas, je t’en prie, cela me fait trop de mal. Je ne