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METELLA.

porter, et, avant que j’eusse pris la bride de son cheval, elle avait sauté sur le gazon. Je lui ai servi de page, et j’ai tenu sa monture pendant qu’elle courait comme un petit chevreau après les fleurs et les papillons. Ma bonne Metella, votre nièce n’est pas ce que vous croyez. Ce n’est pas une petite fille, c’est une espèce d’oiseau déguisé. Je le lui ai dit, et je crois qu’elle rit encore.

— Je vois avec plaisir, dit lady Mowbray avec un sourire mélancolique, que ma Sarah est devenue gaie. Chère enfant ! elle est si aimable et si belle !

— Oui, elle est jolie, dit Olivier, elle a une physionomie que j’aime beaucoup. Elle a l’air intelligent et bon ; elle vous ressemble, Metella ; je ne l’ai jamais tant trouvé qu’aujourd’hui. Elle a votre son de voix par instants.

— Je suis heureuse de voir que vous l’aimez enfin, cette pauvre petite ! dit lady Mowbray. Dans les commencements, elle vous déplaisait, convenez-en ?

— Non, elle me gênait, et voilà tout.

— Et à présent, dit Metella en faisant un violent effort sur elle-même pour conserver un air calme et doux, vous voyez bien qu’elle ne vous gêne plus.

— Je craignais, dit Olivier, qu’elle ne fût pas avec vous ce qu’elle devait être ; à présent, je vois qu’elle vous comprend, qu’elle vous apprécie, et cela me fait plaisir. Je ne suis pas seul à vous aimer ici. Je puis parler de vous à quelqu’un qui m’entend, et qui vous aime autant qu’un autre que moi peut vous aimer. »

Sarah entra en cet instant en s’écriant : « Eh bien ! chère tante, vous a-t-il remis le bouquet de ma part ? C’est un méchant homme que M. votre fils. Il me l’a presque ôté de force pour vous l’apporter lui-même. Il est aussi jaloux que votre petit chien, qui pleure quand vous caressez ma chevrette. »

Lady Mowbray embrassa la jeune fille, et se dit qu’elle devait se trouver heureuse d’être aimée comme une mère.

Quelques jours après, tandis que les deux enfants de lady Mowbray (c’est ainsi qu’elle les appelait) faisaient leur promenade accoutumée, elle entra dans la chambre de Sarah pour prendre un livre et ramassa un petit coin de papier déchiré qui était sur le bord d’une tablette. Au milieu de mots interrompus qui ne pouvaient offrir aucun sens, elle lut distinctement le nom d’Olivier, suivi d’un grand point d’exclamation. C’était l’écriture de Sarah. Lady Mowbray jeta un regard sur les meubles. Le secrétaire et les tiroirs étaient fermés avec soin ; toutes les clefs en étaient retirées. Il ne convenait pas au caractère de lady Mowbray de faire d’autre enquête. Elle sortit cependant pour résister aux suggestions d’une curiosité inquiète.

Lorsque Sarah rentra de la promenade, lady Mowbray remarqua qu’elle était fort pâle et que sa voix tremblait. Un sentiment d’effroi mortel passa dans l’âme de Metella. Elle remarqua pendant le dîner que Sarah avait pleuré, et le soir elle était si abattue et si triste qu’elle ne put s’empêcher de la questionner. Sarah répondit qu’elle était souffrante, et demanda à se retirer.

Lady Mowbray interrogea Olivier sur sa promenade. Il lui répondit, avec le calme d’une parfaite innocence, que Sarah avait été fort gaie toute la première heure, qu’ensuite ils avaient été au pas et en causant ; qu’elle ne se plaignait d’aucune douleur, et que c’était lady Mowbray qui, en rentrant, l’avait fait apercevoir de sa pâleur.

En quittant Olivier, lady Mowbray, inquiète de sa nièce, se rendit à sa chambre, et, avant d’entrer, elle y jeta un coup d’œil par la porte entr’ouverte. Sarah écrivait. Au léger bruit que fit Metella, elle tressaillit et cacha précipitamment son papier, jeta sa plume et saisit un livre ; mais elle n’avait pas eu le temps de l’ouvrir que lady Mowbray était auprès d’elle. « Vous écriviez, Sarah ? lui dit-elle d’un ton grave et doux cependant.

— Non, ma tante, répondit Sarah dans un trouble inexprimable.

— Ma chère fille, est-il possible que vous me fassiez un mensonge ! »

Sarah baissa la tête et resta toute tremblante.

« Qu’est-ce que vous écriviez, Sarah ? continua lady Mowbray avec un calme désespérant.

— J’écrivais… une lettre, répondit Sarah au comble de l’angoisse.

— À qui, ma chère ? continua Metella.

— À Fanny Hurst, mon amie de couvent.

— Cela n’a rien de répréhensible, ma chère ; pourquoi donc vous cachez-vous ?

— Je ne me cachais pas, ma tante, répondit Sarah en essayant de reprendre courage. Mais sa confusion n’échappa point au regard sévère de lady Mowbray.

— Sarah, lui dit-elle, je n’ai jamais surveillé votre correspondance. J’avais une telle confiance en vous que j’aurais cru vous outrager en vous demandant à voir vos lettres. Mais si j’avais pensé qu’il pût exister un secret entre vous et moi, j’aurais regardé comme un devoir de vous en demander l’aveu. Aujourd’hui, je vois que vous en avez un, et je vous le demande.

— Ô ma tante ! s’écria Sarah éperdue.

— Sarah, si vous me refusiez, dit Metella avec beaucoup de douceur et en même temps de fermeté, je croirais que vous avez dans le cœur quelque sentiment coupable, et je n’insisterais pas, car rien n’est plus opposé à mon caractère que la violence. Mais je sortirais de votre chambre le cœur navré, car je me dirais que vous ne méritez plus mon estime et mon affection.

— Ô ma chère tante, ma mère ! ne dites pas cela ! » s’écria miss Mowbray en se jetant tout en larmes aux pieds de Metella.

Métella craignit de se laisser attendrir ; et, lui retirant sa main, elle rassembla toutes ses forces pour lui dire froidement : « Eh bien ! miss Mowbray, refusez-vous de me remettre le papier que vous écriviez ? »

Sarah obéit, voulut parler, et tomba demi-évanouie sur son fauteuil. Lady Mowbray résista au sentiment d’intérêt qui luttait chez elle contre un sentiment tout contraire. Elle appela la femme de chambre de Sarah, lui ordonna de la soigner, et courut s’enfermer chez elle pour lire la lettre. Elle était ainsi conçue :

« Je vous ai promis depuis longtemps, dearest Fanny, l’aveu de mon secret. Il est temps enfin que je tienne ma promesse. Je ne pouvais pas confier au papier une chose si importante sans trouver un moyen de vous faire parvenir directement ma lettre. Maintenant je saisis l’occasion d’une personne que nous voyons souvent ici, et qui part pour Paris. Elle veut bien se charger de vous porter de ma part des minéraux et un petit herbier. Elle vous demandera au parloir et vous remettra le paquet et la lettre, qui de cette manière ne passera pas par les mains de madame la supérieure. Ne me grondez donc pas, ma chère amie, et ne dites pas que je manque de confiance en vous. Vous verrez, en lisant ma lettre, qu’il ne s’agit plus de bagatelles comme celles qui nous occupaient au couvent. Ceci est une affaire sérieuse, et que je ne vous confie pas sans un grand trouble d’esprit. Je crois que mon cœur n’est pas coupable, et cependant je rougis comme si j’allais paraître devant un confesseur. Il y a plusieurs jours que je veux vous écrire. J’ai fait plus de dix lettres que j’ai toutes déchirées ; enfin je me décide ; soyez indulgente pour moi, et si vous me trouvez imprudente et blâmable, reprenez-moi doucement.

« Je vous ai parlai d’un jeune homme qui demeure ici avec nous, et qui est le fils adoptif de ma tante. La première fois que je le vis, c’était le jour de notre arrivée, je fus tellement troublée que je n’osai pas le regarder. Je ne sais pas ce qui se passa en moi lorsqu’il entra à demi dans la calèche pour baiser les mains de ma tante ; il le fit avec tant de tendresse que je me sentis tout émue, et que je compris tout de suite la bonté de son cœur ; mais il se passa plus de six mois avant que je connusse sa figure, car je n’osai jamais le regarder autrement que de profil. Ma tante m’avait dit : « Sarah, regardez Olivier comme votre frère ! » Je me livrai donc d’abord à une joie intérieure que je croyais très-légitime. Il me semblait doux d’avoir un frère ; et s’il m’eût traitée tout de suite comme sa sœur, peut-être n’aurais-je jamais songé à l’aimer autrement !… Hélas ! vous voyez quel est mon malheur, Fanny ; j’aime, et je crois que je ne serai jamais unie à celui que j’aime. Pour vous dire comment j’ai eu l’imprudence d’ai-