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JEANNE.

sursaut, cacha sa tête sous les couvertures, et Jeanne, toute brave qu’elle était, n’osa pas d’abord aller regarder par la meurtrière. Lorsque après plusieurs signes de croix et de pieux exorcismes, elle s’y décida, elle ne vit plus rien. La lune était pure, et l’ombre des arbres fruitiers se dessinait immobile et nette sur le sable brillant des allées.



Elle ne put retenir un cri. (Page 76.)

— Es-tu sotte, de me faire peur comme ça ? dit Claudie.

— Je n’ai pas dit que ça fût le diable, répondit Jeanne. J’ai vu comme une tête.

— Ça avait-il des cornes ?

— Non. C’était fait comme du monde humain, et malgré que je n’aie pas eu le temps de bien voir, parce que la lune donnait par derrière, j’ai vu comme des cheveux plats sur une tête plate.

— C’était donc fait comme la tête du vieux Bridevache?

— Ça m’y a fait penser. Mais qu’est-ce que Raguet viendrait faire ici ?

— Ça ne serait pas pour faire du bien. As-tu fermé les portes hier soir ?

— C’est Mam’selle qui les a fermées avec l’Anglais, et peut-être qu’ils auront oublié de mettre la barre. D’ailleurs, tu sais bien que ce méchant Raguet est comme une serpent. Il passerait par le trou d’une serrure.

— Bah ! tu te seras imaginé d’avoir vu quelque chose. Les chiens n’ont pas jappé.

— Tu sais bien que les chiens ne disent jamais rien à cet homme-là. Il a des paroles pour les endormir.

— Oui, des belles paroles ! il leur jette de la viande de chevau mort. Il est plus voleur que sorcier, va, et plus méchant que savant.

— Il faut nous habiller et aller voir dehors, dit Jeanne.

Ma fine, je n’y veux pas aller, s’écria Claudie. J’ai trop peur.

— Et s’il fait quelque dégât dans la cour ou dans le jardin, ça sera donc de notre faute, Claudie ? Moi, j’y vas toute seule. Si c’est Raguet, ça ne me fait déjà plus tant peur que si c’était autre chose. Claudie ne voulut pas laisser Jeanne affronter seule l’aventure, Elle prit courage et l’accompagna. Tout était calme, et Claudie, rassurée, se moqua de Jeanne au retour.