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JEANNE.

pouvait tirer de sa jeunesse et de sa beauté. Puis, Jeanne ayant dit un jour devant lui à mademoiselle de Boussac qu’une des choses qu’elle regrettait le plus de son pays, c’était son chien qu’elle avait été forcée de laisser au père Léonard, parce qu’elle voyait qu’il lui faisait plaisir, sir Arthur avait été pour acheter et ramener ce chien. Le sacristain l’eût cédé de bonne grâce à Jeanne, mais il n’avait pas refusé l’argent du mylord, et tout le hameau de Toull avait été en révolution pour savoir ce que signifiait une si étrange affaire, un beau monsieur achetant fort cher un vilain chien de berger. Enfin, comme on n’entendait venir de la ville aucun bruit fâcheux contre les mœurs de la fille d’Ep-Nell, on avait conclu que l’Anglais était imberriaque, c’est-à-dire un peu fou ; et chaque Toulloise qui, venant au marché de Boussac, deux fois la semaine, y rencontrait Jeanne faisant les provisions du château, ne manquait pas de lui parler de M. Harley en termes fort moqueurs. On rendait pourtant justice à sa générosité : car il semait l’argent sur ses pas, et cherchait à se faire rendre, par les pauvres habitants de ces landes arides, mille petits services inutiles : comme de lui tenir son cheval pendant qu’il allait à pied un bout de chemin, de lui donner un renseignement dont il n’avait que faire, de lui aller cueillir une fleur ou de lui vendre un oiseau, le tout pour avoir l’occasion de payer d’une manière exorbitante ces malheureux déguenillés. Mais le paysan est si rarement assisté dans ces contrées sauvages, qu’il s’étonne et s’alarme presque de la charité, comme d’une folie ou d’un piège, bien qu’il en profite avec joie.



Le sacristain l’eût cédé de bonne grâce. (Page 65.)

Jeanne n’était pas moqueuse de sa nature, et les railleries dont sir Arthur était l’objet, lui inspiraient une sorte de compassion respectueuse. « Ce pauvre homme, se disait-elle, on se moque de lui parce qu’il est bon ! » Elle lui parlait avec une considération particulière, et l’entourait, dans son service, de prévenances filiales. Mais elle ne paraissait pas plus énamourée de lui que le premier jour, et il attendait avec une admirable résignation, un jour d’abandon ou d’émotion qui n’arrivait pas.

Bien qu’il n’eût confié son secret qu’à Guillaume et à sa sœur, et qu’il se fût laissé plaisanter sur sa lettre à madame de Charmois, sans paraître y avoir attaché la moindre intention sérieuse, ses assiduités à la prairie,