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INDIANA.

malheureux qui devrais me briser la tête d’être venu si tard, vous ne seriez pas malade. Indiana, moi, j’en jure sur ma vie, je vous aurais tant aimée que vous m’auriez aimé aussi, et que vous auriez béni votre chaîne. Je vous aurais portée dans mes bras pour empêcher vos pieds de se blesser ; je les aurais réchauffés de mon haleine. Je vous aurais appuyée contre mon cœur pour vous préserver de souffrir. J’aurais donné tout mon sang pour réparer le vôtre, et si vous aviez perdu le sommeil avec moi, j’aurais passé la nuit à vous dire de douces paroles, à vous sourire pour vous rendre le courage, tout en pleurant de vous voir souffrir. Quand le sommeil serait venu se glisser sur vos paupières de soie, je les aurais effleurées de mes lèvres pour les clore plus doucement, et, à genoux près de votre lit, j’aurais veillé sur vous. J’aurais forcé l’air à vous caresser légèrement, les songes dorés à vous jeter des fleurs. J’aurais baisé sans bruit les tresses de vos cheveux, j’aurais compté avec volupté les palpitations de votre sein, et, à votre réveil, Indiana, vous m’eussiez trouvé là, à vos pieds, vous gardant en maître jaloux, vous servant en esclave, épiant votre premier sourire, m’emparant de votre première pensée, de votre premier regard, de votre premier baiser…



Aime-moi donc encore. (Page 19.)

— Assez, assez, dit Indiana tout éperdue, toute palpitante ; vous me faites mal. »

Et pourtant, si l’on mourait de bonheur, Indiana serait morte en ce moment.

« Ne me parlez pas ainsi, lui dit-elle, à moi qui ne dois pas être heureuse ; ne me montrez pas le ciel sur la terre, à moi qui suis marquée pour mourir.

— Pour mourir ! s’écria Raymon avec force en la saisissant dans ses bras ; toi, mourir ! Indiana ! mourir avant d’avoir vécu, avant d’avoir aimé !… Non, tu ne mourras pas ; ce n’est pas moi qui te laisserai mourir ; car ma vie maintenant est liée à la tienne. Tu es la femme que j’avais rêvée, la pureté que j’adorais, la chimère qui m’avait toujours fui, l’étoile brillante qui luisait devant moi pour me dire : « Marche encore dans cette vie de misère, et le ciel t’enverra un de ses anges pour t’accompagner. » De tout temps tu m’étais destinée, ton âme était fiancée à la mienne, Indiana ! Les hommes et leurs lois de fer ont disposé de toi ; ils m’ont arraché la compagne que