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INDIANA.

toutes l’intérêt personnel. L’amour et la dévotion, qui sont deux passions en apparence généreuses, sont les plus intéressées peut-être qui existent ; le patriotisme ne l’est pas moins, soyez-en sûr. J’aime peu les hommes ; mais pour rien au monde je ne voudrais le leur prouver : car je les crains en proportion du peu d’estime que j’ai pour eux. Nous sommes donc égoïstes tous les deux ; mais moi, je le confesse, et vous, vous le niez. »



La première figure qui vint à sa rencontre. (Page 28.)

Une discussion s’éleva entre eux, dans laquelle, par toutes les raisons de l’égoïsme, chacun chercha à prouver l’égoïsme de l’autre. Madame Delmare en profita pour se retirer dans sa chambre et pour s’abandonner à toutes les réflexions qu’une nouvelle si imprévue faisait naître en elle.

Il est bon non-seulement de vous initier au secret de ses pensées, mais encore de vous apprendre la situation des différentes personnes que la mort de Noun avait plus ou moins affectées.

Il est à peu prés prouvé pour le lecteur et pour moi, que cette infortunée s’est jetée dans la rivière par désespoir, dans un de ces moments de crise violente où les résolutions extrêmes sont les plus faciles. Mais comme elle ne rentra probablement pas au château après avoir quitté Raymon, comme personne ne la rencontra et ne put être juge de ses intentions, aucun indice de suicide ne vint éclaircir le mystère de sa mort.

Deux personnes purent l’attribuer avec certitude à un acte de sa volonté, M. de Ramière et le jardinier du Lagny. La douleur de l’un fut cachée sous l’apparence d’une maladie ; l’effroi et les remords de l’autre l’engagèrent à garder le silence. Cet homme, qui, par cupidité, s’était prêté pendant tout l’hiver aux entrevues des deux amants, avait seul pu observer les chagrins secrets de la jeune créole. Craignant avec raison le reproche de ses maîtres et le blâme de ses égaux, il se tut par intérêt pour lui-même, et quand M. Delmare, qui, après la découverte de cette intrigue, avait quelques soupçons, l’interrogea sur les suites qu’elle avait pu avoir en son absence, il nia hardiment qu’elle en eût eu aucune. Quelques personnes du pays (fort désert en cet endroit, il est bon de le remarquer) avaient bien vu Noun prendre quelquefois le chemin de Cercy à des heures avancées ; mais aucune relation apparente n’avait existé entre elle et M. de Ramière depuis la fin de janvier, et sa mort