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INDIANA.



Ne reconnaissez-vous donc pas ceux-là. (Page 44.)

« Voyez, voyez bien, chère amie, que j’ai sujet d’être sombre et chagrin. Vous, vous êtes héroïque, vous riez de tout, vous ne voulez pas que je m’afflige. Ah que j’ai besoin de vos douces paroles, de vos doux regards pour soutenir mon courage ! Mais, par une inconcevable fatalité, ces jours que j’espérais passer librement à vos genoux ne m’ont apporté qu’une contrainte encore plus cuisante.

« Dites donc un mot, Indiana, afin que nous soyons seuls au moins une heure, que je puisse pleurer sur vos blanches mains, vous dire tout ce que je souffre, et qu’une parole de vous me console et me rassure.

« Et puis, Indiana, j’ai un caprice d’enfant, un vrai caprice d’amant : je voudrais entrer dans votre chambre. Ah ! ne vous alarmez pas, ma douce créole ! Je suis payé, non pas seulement pour vous respecter, mais pour nous craindre ; c’est pour cela précisément que je voudrais entrer dans votre chambre, m’agenouiller à cette place où je vous ai vue si irritée contre moi, et où, malgré mon audace, je n’ai pas osé vous regarder. Je voudrais me prosterner là, y passer une heure de recueillement et de bonheur ; pour toute faveur, Indiana, je te demanderais de poser ta main sur mon cœur et de le purifier de son crime, de le calmer s’il battait trop vite, et de lui rendre toute la confiance si tu me trouves enfin digne de toi. Oh ! oui ! je voudrais te prouver que je le suis maintenant, que je te connais bien, que je te rends un culte plus pur et plus saint que jamais jeune fille n’en rendit à sa madone ! Je voudrais être sûr que tu ne me crains plus, que tu m’estimes autant que je te vénère ; appuyé sur ton cœur, je voudrais vivre une heure de la vie des anges. Dis, Indiana, le veux-tu ? Une heure, la première, la dernière peut-être !

« Il est temps de m’absoudre, Indiana, de me rendre la confiance si cruellement ravie, si chèrement rachetée. N’es-tu pas contente de moi ? dis, n’ai-je pas passé six mois derrière ta chaise, bornant toutes mes voluptés à regarder ton cou de neige penché sur ton ouvrage, à travers les boucles de tes cheveux noirs ? à respirer le parfum qui émane de toi et que m’apportait vaguement l’air de la croisée où tu t’assieds ? Tant de soumission ne mérite donc pas la récompense d’un baiser ? un baiser de cœur, si tu veux, un baiser au front. Je resterai fidèle à nos conventions, je te le jure. Je ne demanderai rien… Mais