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MAUPRAT.

il persistait à me croire poursuivi par des haines cachées), et de se trouver par là hors d’état de me servir. Il voulait donc ne pas perdre un instant pour continuer ses recherches tant qu’on ne l’appréhenderait pas au corps.



Il ne me manquait plus que de revoir ces lieux maudits. (Page 75.)

Deux jours après mon installation à Bourges, Marcasse produisit un acte dressé à sa réquisition par deux notaires de La Châtre, par lequel, d’après les dépositions de dix témoins, on constatait qu’un frère mendiant avait rôdé, tous les jours antérieurs à celui de l’assassinat, dans la Varenne, paru sur divers points à des distances très-rapprochées, et notamment couché à Notre-Dame de Pouligny la veille de l’événement. Marcasse prétendait que ce moine était Jean de Mauprat ; deux femmes déposèrent qu’elles avaient cru le reconnaître, soit pour Jean, soit pour Gaucher de Mauprat, qui lui ressemblait beaucoup. Mais ce Gaucher était mort noyé dans un étang, le lendemain de la prise du donjon, et toute la ville de La Châtre ayant vu, le jour de l’assassinat d’Edmée, le trappiste conduire, depuis le matin jusqu’au soir, avec le prieur des carmes, la procession et les offices au pèlerinage de Vaudevant, ces dépositions, loin de m’être favorables, firent le plus mauvais effet et jetèrent de l’odieux sur ma défense. Le trappiste fit victorieusement prouver son alibi, et le prieur des carmes l’aida à répandre que j’étais un infâme scélérat. Ce fut un temps de triomphe pour Jean de Mauprat ; il disait hautement qu’il était venu se remettre à ses juges naturels pour subir la peine due à ses fautes passées, et personne ne voulait admettre la pensée de poursuivre un si saint homme. Le fanatisme qu’il inspirait dans notre province éminemment dévote était tel qu’aucun magistrat n’eût osé braver l’opinion publique en faisant sévir contre lui. Dans ses dépositions, Marcasse raconta l’apparition mystérieuse et inexplicable du trappiste à la Roche-Mauprat, ses démarches pour s’introduire auprès de M. Hubert et de sa fille, l’insolence qu’il avait eue d’aller les effrayer jusque dans leurs appartements, et les efforts du prieur des carmes pour obtenir de moi des sommes considérables en faveur de ce personnage. Toutes ces dépositions furent traitées comme un roman ; car Marcasse avouait n’avoir été témoin d’aucune des apparitions du trappiste, et ni le chevalier ni sa fille n’étaient en état de témoigner. Mes réponses aux divers interrogatoires que je subis confirmèrent, il est vrai, ces récits ; mais comme je déclarai avec une parfaite sincé-