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TEVERINO.

alors, si le marquis était impertinent et dangereux, quel autre appui que celui de Léonce pouvait-elle espérer ? Une douce et légitime habitude la ramenait donc vers ce défenseur naturel, et, certaine de la générosité de son ami, elle se demandait avec effroi comment elle avait pu être assez injuste et assez légère pour s’exposer à en avoir besoin. Lorsqu’elle comparait ces deux hommes, l’un rempli de séductions et de problèmes, l’autre rigide et sûr ; un inconnu et un ami éprouvé ; celui-ci qu’un baiser d’elle eût à jamais enchaîné à ses pas, celui-là qui l’acceptait en passant, comme une aventure toute simple, et ne s’en souvenait plus au bout d’une heure : elle s’accusait et rougissait jusqu’au fond de l’âme.



Il se crut sérieusement attaqué par le diable. (Page 39.)

Léonce s’attendait à la voir irritée contre lui ; il la trouva pâle, triste et désarmée. Lorsqu’il s’approcha pour lui baiser la main comme à l’ordinaire, il aperçut une larme au bord de ses cils noirs, et, à son tour, il fut involontairement ému.

— Vous êtes souffrante ? dit-il ; vous avez passé une mauvaise nuit ?

— Vous me l’aviez prédit, Léonce, et j’ai à vous rendre compte de ces émotions terribles dont je ne dois jamais perdre le souvenir. Faites en sorte, je vous prie, que je puisse tranquillement causer avec vous aujourd’hui, et ne me quittez pas, comme vous l’avez fait si cruellement hier à diverses reprises.

Léonce n’eut pas le courage de lui répondre qu’il avait cru lui plaire en agissant ainsi. Il voyait trop que Sabina n’avait ni l’envie ni le pouvoir de se justifier.

À son tour, il se demanda s’il n’était pas le seul coupable ; et, plein de mélancolie et d’incertitudes, il alla présider aux préparatifs du départ.

Heureusement le curé égaya le déjeuner par le récit de la terrible aventure qui l’avait mis aux prises avec Satan. Le marquis eut beaucoup d’esprit, Léonce fut préoccupé, et Sabina lui en sut gré. Il lui semblait que Teverino avait l’insolence d’un amant heureux, et elle le haïssait. Pourtant rien n’était plus éloigné de la pensée du bohémien ; il faisait bien meilleur marché de la faute de lady G… qu’elle-même ; il trouvait le péché si véniel, et il avait à cet égard une philosophie si tolérante, qu’il était peu disposé à en tirer gloire. Cela venait de ce qu’il avait moins de respect, dans un certain sens, que Léonce pour la vertu des femmes, et plus de confiance en même temps