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HORACE.

me déplaisait de plus en plus. Ce n’est pas qu’elle manquât d’esprit, ni de caractère. Elle avait certaines qualités brillantes à l’extérieur, qui attiraient également les gens très-affectés et les gens très-ingénus : ceux-ci, la prenant de bonne foi pour la femme supérieure qu’elle voulait être, et ceux-là souscrivant à ses prétentions, moyennant une convention tacite, passée avec elle, d’être reconnus pour hommes supérieurs eux-mêmes. Elle avait à Chailly comme à Paris, une petite cour assez ridicule, et même plus ridicule qu’à Paris ; car elle la recrutait de plusieurs gentilshommes campagnards, élégants frelatés dont elle se moquait cruellement avec les élégants de meilleur aloi qu’elle avait amenés de Paris. Ces pauvres jeunes gens du cru se guindaient pour être à la hauteur de son bel esprit, et n’en étaient que plus sots ; mais ils montaient à cheval avec elle, la suivaient à la chasse, bourdonnaient sur sa piste ; où papillonnaient autour de son étrier, sans s’apercevoir qu’ils n’étaient accueillis que pour faire nombre au cortège, et afin que les femmes de la province eussent à dire, avec dépit, que la vicomtesse accaparait tous les hommes du département.



Ils partirent en assez bonne intelligence. (Page 75.)

La comtesse, habituée à la haute tolérance de la bonne compagnie, menait une vie à part dans le château. Elle surveillait les enfants, les précepteurs et gouvernantes, les travaux de la terre et l’ordre de la maison. Alerte et vigilante, malgré son grand âge, elle était si nécessaire à l’indolente Léonie, qu’elle en obtenait des égards et des gracieusetés où l’affection n’entrait cependant pour rien. Le vicomte, son fils, était un personnage fort nul, indulgent par insouciance, et très-disposé à tout permettre à sa femme à condition qu’elle ne le gênerait en rien. Riche et borné, il était plus occupé à dépenser son bien avec des demoiselles de l’Opéra qu’à le faire prospérer avec sa mère. Il était presque toujours à Paris, et, pour se faire pardonner ses absences un peu équivoques, il s’acquittait scrupuleusement des nombreuses emplettes de toilette dont le chargeait la vicomtesse. C’était là le véritable lien conjugal entre eux, et le secret de leur bonne intelligence. Le pauvre homme aimait ses enfants instinctivement, et sa mère avec plus de tendresse qu’il n’en avait jamais eu pour personne ; mais il ne la comprenait pas, et il était incapable de donner à ses enfants une bonne direction. Tout dans cette famille respirait extérieurement l’union et l’harmo-