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LE MEUNIER D’ANGIBAULT.

diocrité à la richesse et le travail à l’oisiveté. C’est un pas vers la vertu, mais quel pauvre mérite nous avons là, et combien peu il apporte remède aux misères sans nombre qui frappent nos yeux et contristent notre cœur !



C’est la pauvre Bricoline, dit Rose. (Page 30.)

— Mais le remède ? dit Rose stupéfaite. Il n’y a donc pas de remède ? Il faudrait qu’un roi trouvât cela dans sa tête, puisqu’un roi peut tout.

— Un roi ne peut rien, ou presque rien, répondit Marcelle en souriant de la naïveté de Rose. Il faudrait qu’un peuple trouvât cela dans son cœur.

— Tout cela me fait l’effet d’un rêve, dit la bonne Rose. C’est la première fois que j’entends parler de ces choses-là. Je pense bien quelquefois toute seule, mais chez nous personne ne dit que le monde ne va pas bien. On dit qu’il faut s’occuper de soi, parce que notre bonheur est la seule chose dont les autres ne s’occuperont pas, et que tout le monde est le grand ennemi de chacun ; cela fait peur, n’est-ce pas ?

— Et il y a là une étrange contradiction. Le monde va bien mal puisqu’il n’est rempli que d’êtres qui se détestent et se craignent entre eux !

— Mais votre idée pour sortir de là ? car enfin on ne s’aperçoit pas du mal sans avoir l’idée du mieux ?

— On peut avoir cette idée claire quand tout le monde l’a conçue avec vous et vous aide à la produire. Mais quand on est quelques-uns seulement contre tous, qui vous raillent d’y songer et qui vous font un crime d’en parler, on n’a qu’une vue trouble et incertaine. C’est ce qui arrive, je ne dis pas aux plus grands esprits de ce temps-ci, je n’en sais rien, je ne suis qu’une femme ignorante, mais aux cœurs les mieux intentionnés, et voilà où nous en sommes aujourd’hui.

— Oui, au jour d’aujourd’hui ! comme dit mon papa, dit Rose en souriant. Puis elle ajouta d’un air triste : Que ferai-je donc moi ? que ferai-je pour être bonne, étant riche ?

— Vous conserverez dans votre cœur, comme un trésor, ma chère Rose, la douleur de voir souffrir, l’amour du prochain que l’Évangile vous enseigne, et le désir ardent de vous sacrifier au salut d’autrui, le jour où ce sacrifice individuel deviendrait utile à tous.

— Ce jour-là viendra donc ?

— N’en doutez pas.

— Vous en êtes sûre ?