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JEAN ZISKA.

statent aussi des irruptions de béguins ou beggards, d’adamites, de turlupins, de flagellants et de millénaires dans les pays slaves et en Bohême surtout à différentes époques. Prague avait eu déjà d’illustres docteurs qui avaient prêché que la fin du monde ancien était proche, que l’Antéchrist était apparu sur la terre, et qu’il siégeait sur le trône pontifical. Jean de Milicz[1], un des plus célèbres, avait été mandé à Rome pour se disculper, et on dit qu’il avait écrit ces propres paroles sur la porte de plusieurs cardinaux. On cite aussi Mathias de Janaw, dit le Parisien parce qu’il avait étudié à Paris, « illustre par sa merveilleuse dévotion, et qui, par son assiduité à prêcher, a souffert une grande persécution, et cela à cause de la vérité évangélique. » Celui-là détestait les moines, et leur reprochait « d’avoir abandonné l’unique sauveur Jésus-Christ pour des François et des Dominique. » On ne voit point que l’enthousiasme joannite des ordres mendiants ait établi un lien sympathique entre eux et les Bohémiens. Soit que ceux de ces moines qui habitaient le pays ne partageassent pas cet enthousiasme à l’époque où il éclata en Italie et en France, soit que la haine des couvents l’emportât sur toute similitude de doctrine chez les Bohémiens, il est certain que cette doctrine changeant de nom et de prédicateurs, leur arriva un peu tard et leur servit d’arme contre tous les ordres religieux.



Il s’attroupa une grande multitude… (Page 13.)

Ces docteurs bohémiens avaient tenté surtout de rétablir les coutumes de l’Église grecque, auxquelles la Bohême, convertie primitivement au christianisme par des missionnaires orientaux, avait toujours été singulièrement attachée. La communion sous les deux espèces et l’office divin récité dans la langue du pays, étaient surtout les cérémonies qui lui paraissaient constituer sa nationalité, représenter ses franchises et préserver dans l’esprit du peuple l’égalité des fidèles devant Dieu et devant les hommes de la tyrannie orgueilleuse du clergé. Nous reviendrons sur cet article, qui est le motif de la guerre

  1. Milicius, suivant la coutume des historiens de cette époque de latiniser tous les noms. Il n’apparaît pas que tous ces docteurs hérétiques sortis des rangs du peuple aient à tenu à leurs noms de famille, mais beaucoup à leur nom de baptême et à celui de leur village. Jean Huss prit le sien de Hussinetz où il était né. Je prierai mes lectrices de faire attention, en lisant l’histoire de ces siècles, à la prodigieuse quantité de théologiens célèbres dans l’Église ou dans l’hérésie qui portent le prénom de Jean. À l’époque de la prédication du joannisme et de la dévotion à l’évangile de saint Jean, ce n’est pas un fait indifférent