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CONSUELO.

retour lui semblait encore plus effrayant que désirable. Sa prière parut frapper Albert d’une émotion inattendue.



L’eau tombait en cascade au fond de la citerne… (Page 98.)

« Quelqu’un prie à côté de moi, dit-il en essayant de soulever sa tête accablée. Je ne suis pas seul ! oh non, je ne suis pas seul, ajouta-t-il en regardant la main de Consuelo enlacée aux siennes. Main secourable, pitié mystérieuse, sympathie humaine, fraternelle ! tu rends mon agonie bien douce et mon cœur bien reconnaissant ! »

Il colla ses lèvres glacées sur la main de Consuelo, et resta longtemps ainsi.

Une émotion pudique rendit à Consuelo le sentiment de la vie. Elle n’osa point retirer sa main à cet infortuné ; mais, partagée entre son embarras et son épuisement, ne pouvant plus se tenir debout, elle fut forcée de s’appuyer sur lui et de poser son autre main sur l’épaule d’Albert.

« Je me sens renaître, dit Albert au bout de quelques instants. Il me semble que je suis dans les bras de ma mère. Ô ma tante Wenceslawa ! si c’est vous qui êtes auprès de moi, pardonnez-moi de vous avoir oubliée, vous et mon père, et toute ma famille, dont les noms même étaient sortis de ma mémoire. Je reviens à vous, ne me quittez pas ; mais rendez-moi Consuelo ; Consuelo, celle que j’avais tant attendue, celle que j’avais enfin trouvée… et que je ne retrouve plus, et sans qui je ne puis plus respirer ! »

Consuelo voulut lui parler ; mais à mesure que la mémoire et la force d’Albert semblaient se réveiller, la vie de Consuelo semblait s’éteindre. Tant de frayeurs, de fatigues, d’émotions et d’efforts surhumains l’avaient brisée, qu’elle ne pouvait plus lutter. La parole expira sur ses lèvres, elle sentit ses jambes fléchir, ses yeux se troubler. Elle tomba sur ses genoux à côté d’Albert, et sa tête mourante vint frapper le sein du jeune homme. Aussitôt Albert, sortant comme d’un songe, la vit, la reconnut, poussa un cri profond, et, se ranimant, la pressa dans ses bras avec énergie. À travers les voiles de la mort qui semblaient s’étendre sur ses paupières, Consuelo vit sa joie, et n’en fut point effrayée. C’était une joie sainte et rayonnante de chasteté. Elle ferma les yeux, et tomba dans un état d’anéantissement qui n’était ni le sommeil ni la veille, mais une sorte d’indiffé-