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CONSUELO.

détresses, t’a soulagé en te disant : Cherche le bonheur, n’y renonce pas ! Le bonheur t’est dû, exige-le, et tu l’auras ! Ne vois-tu pas sur mon front toutes tes souffrances, et sur mes membres meurtris la cicatrice des fers que tu as portés ? Bois le calice que je t’apporte, tu y trouveras mes larmes mêlées à celles du Christ et aux tiennes ; tu les sentiras aussi brûlantes, et tu les boiras aussi salutaires ! »



Ou voltiger sur la cime au clair de la lune… (Page 128.)

Cette hallucination remplit de douleur et de pitié le cœur de Consuelo. Elle croyait voir et entendre l’ange déchu pleurer et gémir auprès d’elle. Elle le voyait grand, pâle, et beau, avec ses longs cheveux en désordre sur son front foudroyé, mais toujours fier et levé vers le ciel. Elle l’admirait en frissonnant encore par habitude de le craindre, et pourtant elle l’aimait de cet amour fraternel et pieux qu’inspire la vue des puissantes infortunes. Il lui semblait qu’au milieu de la communion des frères bohèmes, c’était à elle qu’il s’adressait ; qu’il lui reprochait doucement sa méfiance et sa peur, et qu’il l’attirait vers lui par un regard magnétique auquel il lui était impossible de résister. Fascinée, hors d’elle-même, elle se leva, et s’élança vers lui les bras ouverts, en fléchissant les genoux. Albert laissa échapper son violon, qui rendit un son plaintif en tombant, et reçut la jeune fille dans ses bras en poussant un cri de surprise et de transport. C’était lui que Consuelo écoutait et regardait, en rêvant à l’ange rebelle ; c’était sa figure, en tout semblable à l’image qu’elle s’en était formée, qui l’avait attirée et subjuguée ; c’était contre son cœur qu’elle venait appuyer le sien, en disant d’une voix étouffée : « À toi ! à toi ! ange de douleur ; à toi et à Dieu pour toujours ! »

Mais à peine les lèvres tremblantes d’Albert eurent-elles effleuré les siennes, qu’elle sentit un froid mortel et de cuisantes douleurs glacer et embraser tour à tour sa poitrine et son cerveau. Enlevée brusquement à son illusion, elle éprouva un choc si violent dans tout son être qu’elle se crut près de mourir ; et, s’arrachant des bras du comte, elle alla tomber contre les ossements de l’autel, dont une partie s’écroula sur elle avec un bruit affreux. En se voyant couverte de ces débris humains, et en regardant Albert qu’elle venait de presser dans ses bras et de rendre en quelque sorte maître de son âme et de sa liberté dans un moment d’exaltation insensée, elle éprouva une terreur et une angoisse si horribles,