Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 8, 1855.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
CONSUELO.

et dis-moi pourquoi tu es revenue si brusquement ? Parle donc, ajouta-t-il avec un peu d’impatience. Est-ce que tu n’as pas mille choses à me dire ? Tu t’ennuyais là-bas ? ou bien les Rudolstadt ont été mal pour toi ? Oui, eux aussi sont capables de t’avoir blessée et tourmentée ! Dieu sait que c’étaient les seules personnes de l’univers en qui j’avais encore foi : mais Dieu sait aussi que tous les hommes sont capables de tout ce qui est mal !



La Sofia.

— Ne dites pas cela, mon ami, répondit Consuelo. Les Rudolstadt sont des anges, et je ne devrais parler d’eux qu’à genoux, mais j’ai dû les quitter, j’ai dû les fuir, et même sans les prévenir, sans leur dire adieu.

— Qu’est-ce à dire ? Est-ce toi qui as quelque chose à te reprocher envers eux ? Me faudrait-il rougir de toi, et me reprocher de t’avoir envoyée chez ces braves gens ?

— Oh, non ! non, Dieu merci, maître ! Je n’ai rien à me reprocher, et vous n’avez point à rougir de moi.

— Alors, qu’est-ce donc ? »

Consuelo, qui savait combien il fallait faire au Porpora les réponses courtes et promptes lorsqu’il donnait son attention à la connaissance d’un fait ou d’une idée, lui annonça, en peu de mots, que le comte Albert voulait l’épouser, et qu’elle n’avait pu se décider à lui rien promettre avant d’avoir consulté son père adoptif.

Le Porpora fit une grimace de colère et d’ironie.

« Le comte Albert ! s’écria-t-il, l’héritier des Rudolstadt, le descendant des rois de Bohême, le seigneur de Riesenburg ! il a voulu t’épouser, toi, petite Égyptienne ? toi, le laideron de la Scuola, la fille sans père, la comédienne sans argent et sans engagement ? toi, qui as demandé l’aumône, pieds nus, dans les carrefours de Venise ?

— Moi ! votre élève ! moi, votre fille adoptive ! oui, moi, la Porporina ! répondit Consuelo avec un orgueil tranquille et doux.

— Belle illustration et brillante condition ! En effet, reprit le maestro avec amertume, j’avais oublié celles-là dans la nomenclature. La dernière et l’unique élève d’un maître sans école, l’héritière future de ses guenilles et de sa honte, la continuatrice d’un nom qui est déjà effacé de la mémoire des hommes ! il y a de quoi se vanter, et voilà de quoi rendre fous les fils des plus illustres familles !

— Apparemment, maître, dit Consuelo avec un sourire mélancolique et caressant, que nous ne sommes pas