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CONSUELO.

pora, qui avait des yeux jusque derrière la tête, vit qu’ils riaient ensemble en le regardant et en parlant de lui dans leur langue. Il en fut d’autant plus mal disposé pour eux, et ne leur adressa pas même un regard durant toute la promenade.



Pour vous servir, répliqua le Porpora… (Page 280.)

CI.

On descendit une petite pente assez rapide au bas de laquelle on trouva une rivière en miniature, qui avait été un joli torrent limpide et agité ; mais comme il fallait le rendre navigable, on avait égalisé son lit, adouci sa pente, taillé proprement ses rives et troublé ses belles ondes par de récents travaux. Les ouvriers étaient encore occupés à le débarrasser de quelques roches que l’hiver y avait précipitées, et qui lui donnaient un reste de physionomie : on s’empressait de la faire disparaître. Une gondole attendait là les promeneurs, une vraie gondole que le comte avait fait venir de Venise, et qui fit battre le cœur de Consuelo en lui rappelant mille souvenirs gracieux et amers. On s’embarqua ; les gondoliers étaient aussi de vrais Vénitiens parlant leur dialecte ; on les avait fait venir avec la barque, comme de nos jours les nègres avec la girafe. Le comte Hoditz, qui avait beaucoup voyagé, s’imaginait parler toutes les langues : mais, quoiqu’il y mit beaucoup d’aplomb, et que, d’une voix haute, d’un ton accentué, il donnât ses ordres aux gondoliers, ceux-ci l’eussent compris avec peine, si Consuelo ne lui eût servi de truchement. Il leur fut enjoint de chanter des vers du Tasse : mais ces pauvres diables, enroués par les glaces du Nord, dépaysés et déroutés dans leurs souvenirs, donnèrent aux Prussiens un fort triste échantillon de leur savoir-faire. Il fallut que Consuelo leur soufflât chaque strophe, et promit de leur faire faire une répétition des fragments qu’ils devaient chanter le lendemain à madame la margrave.

Quand on eut navigué un quart d’heure dans un espace qu’on eût pu traverser en trois minutes, mais où l’on avait ménagé au pauvre ruisseau contrarié dans sa course mille détours insidieux, on arriva à la pleine mer. C’était un assez vaste bassin où l’on débouqua à travers des massifs de cyprès et de sapins, et dont le coup d’œil inattendu était vraiment agréable. Mais on n’eut